Il demande à ne pas être applaudi. Orateur brillant, Tariq Ramadan a tenu en haleine et sans notes, samedi soir au Bourget, plusieurs dizaines de milliers de musulmans venus assister au 29e congrès de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF).
Il en était l'invité vedette depuis que le gouvernement avait interdit la venue de six prédicateurs pour leurs propos explicitement antisémites. Il en était aussi l'invité controversé, car le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, a publiquement regretté, vendredi, qu'il soit maintenu à l'affiche, lui reprochant d'avoir défendu un «moratoire sur la lapidation des femmes».
Les encourageant à ne pas céder à la «réaction», Tariq Ramadan a plutôt appelé les musulmans qui l'écoutaient - hommes d'un côté, femmes, toutes voilées, de l'autre et des milliers de fidèles debout au fond - à une forme subtile de «résistance» :
«Je vous remercie d'avoir tenu bon, a-t-il lancé, malgré les pressions et les accusations.» Car « c'est aussi à l'honneur de la France d'accueillir cette rencontre ». Décochant cette première critique: « On ne peut pas se prévaloir de Voltaire pendant quatre ans et l'oublier à deux semaines de l'élection», invitant à «ne pas confondre la France avec ceux qui la représentent».
L'intellectuel suisse a alors accusé le gouvernement de faire de la «surenchère» et de la «diversion» vis-à-vis de la «vraie crise économique», en misant, selon un «stratagème», sur les questions «de sécurité» qui sont pourtant «trop sérieuses pour être mises en scène». Posant en particulier la question du bilan pour les banlieues : «Qu'est-ce qui a été fait depuis les émeutes de la banlieue en 2005 pour répondre au mal-être, pas de travail, pas d'habitat ?» Ou critiquant, sur le plan européen cette fois, le traitement «comme des animaux» des «charters de clandestins».
Citant l'exemple du Prophète ) qui a plusieurs fois connu l'adversité, il a recommandé aux 40.000 musulmans présents de se placer «toujours avec élégance» dans une sorte «d'exil» intérieur : « Éloigne-toi d'eux, dans un bel exil. » Et de lier, par conséquent, «la foi et la résistance», la foi qui a «une vue longue». Une résistance calquée sur la stratégie du fondateur de l'islam : « Pourquoi le Prophète () a-t-il été si efficace à La Mecque ?» a demandé Tariq Ramadan à l'auditoire. Réponse : « Parce qu'il connaissait bien la société» de cette ville. Et «qu'en France, vous avez à connaître votre société».
Appelant donc à la connaissance de l'Islam pour en connaître «la lumière», à son étude approfondie, il a demandé aux musulmans présents de prendre «conscience de leur responsabilité» : « En France, il faut comprendre cela. Nous portons un dépôt, un message : l'Islam est un et accepte toutes les cultures. » Mais «il va falloir résister», a-t-il prévenu. D'abord contre soi-même, son «ego», fustigeant alors «l'arrogance» mais recommandant la «dignité» : «Je reste moi-même. » Mais aussi résistance contre l'adversité car «ils vont t'attaquer». Pour en déjouer les pièges : « Si vous répondez aux attaques, vous devenez l'objet de leur histoire. » Résistance, enfin, pour un projet plus large: «Soyez à la fois ambitieux pour changer le monde et restez humble.»
Développant toujours la comparaison avec la stratégie du Prophète ) il a alors déconseillé la voie de la négociation avec les gouvernements.
«Tu veux protéger ta communauté en parlant avec le pouvoir et avec les riches. » Une fausse piste selon lui : « Soyez toujours du côté des opprimés, c'est le seul pouvoir qui compte. » Il a donc invité à «ne pas perdre de temps» et à ne pas compter «avec ceux qui ont un pouvoir de cinq ans», qui manient «le mensonge» et «l'hypocrisie», mais à devenir des «citoyens libres et indépendants». Car, «c'est fini le temps où l'on vous parle comme à des enfants et où on vous regarde comme si vous étiez en voie de maturation ».
Tariq Ramadan a alors appelé les musulmans à apporter «leur contribution pour tous les droits». «Il faut un discours musulman sur «les libertés», sur l'égalité hommes-femmes « il faut plus de femmes à l'UOIF », sur le respect des jeunes.
Mais aussi développer «l'esprit critique» car il faut «poser des questions» et savoir «acquérir les instruments des Occidentaux». Évoquant alors le moment «historique», de la «présence des musulmans en Occident», il a lancé un appel à «l'unité» de la «diversité musulmane» pour ne surtout pas importer le «conflit chiite-sunnite» en Europe.
Affirmant, en conclusion, un «non sans condition à l'antisémitisme», il a critiqué une nouvelle fois «l'oppression» du peuple palestinien, «ce qui n'a rien à voir avec l'antisémitisme», a-t-il pris soin de préciser.
Avant sa prière finale, il s'est moqué des «services de renseignements généraux» présents dans la salle, déclenchant cette fois, des applaudissements : «Rapportez bien au gouvernement ce que l'on a dit, vraiment, pas ce que l'on aurait pu dire. »