Le mot Fitnah (tentation) a plusieurs significations même si, au départ, il désignait le test, l'examen ou l'essai. On l'utilise parfois en parlant d'une chose qui force notre admiration. Le mot renvoie également aux conflits entre les hommes et aux combats que l'on mène pour avoir un gain matériel ou pour s'arroger le pouvoir. Dans le Coran le mot Fitna revêt toutes ces significations et bien d’autres. Mais dans le contexte qui nous intéresse, nous allons nous contenter des son sens qui vise la damnation, la régression du niveau de la foi ou de la secousse qui agite le rang musulman.
Types de tentations et remèdes
Ibn Al Qayim, qu'Allah lui accorde Sa miséricorde, a dit :
"Il y a deux sortes de tentations : la tentation des suspicions -qui est la plus grave des deux- et la tentation des plaisirs. Un individu peut être frappé par les deux en même temps ou par l'une d'elles seulement."
Ainsi la tentation liée aux suspicions est principalement due au manque de perspicacité et de connaissance surtout quand elle est animé par une mauvaise intention et un suivi effréné des passions. Il y a donc la grande tentation et l'infortune remarquable. Celui qui est mal intentionné, qui n'en fait qu'à sa tête sans jamais se référer à la bonne voie et qui en plus, manque de perspicacité et de connaissance concernant le Message apporté par le Prophète , est égaré. Il est de ceux que le Coran décrit ainsi (sens du verset) :
"Ils ne suivent que la conjecture et les passions de [leurs] âmes, alors que la guidée leur est venue de leur Seigneur"(Coran: 53/23).
Ce genre de tentation conduit immanquablement à l'impiété et à l'hypocrisie car c'est celle des hypocrites et des hérétiques (selon leurs degrés d'hérésie). Ce sont des gens qui ont tous innové en matière de religion à partir de suspicions graves qu'ils ont développées et qui les ont amenées à confondre la vérité avec le mensonge, la bonne voie avec l'égarement. C'est une formidable tentation dont n'échappe que celui qui s'accroche de toutes ses forces à la Sunna du Prophète, , qu'il s'évertue à suivre et à appliquer dans ses moindres détails aussi bien dans ses principes que dans ses règles pour s'en imbiber profondément.
Quant au deuxième type de tentation, il s'agit de la tentation des plaisirs sensuels. Le verset suivant parle des deux tentations (sens du verset):
Il en fut] de même de ceux qui vous ont précédés : ils étaient plus forts que vous, plus riches et avaient plus d'enfants. Ils jouirent de leur lot [en ce monde] et vous avez joui de votre lot comme ont joui vos prédécesseurs de leur lot. Et vous avez discuté à tort et à travers comme ce qu'ils avaient discuté. (Coran : 9/69), c'est-à-dire qu'ils ne se sont pas privés mais plutôt bien qu’ils ont joui de leur portion de ce monde. La fin du verset révèle qu’à l'origine de la corruption de leurs cœurs et de leur religion il y a les discussions vaines et sans fondement. Il est vrai que la corruption de la religion découle systématiquement de la croyance aux absurdités ou de la propagande qu'on fait à celles-ci ou bien encore de la pratique de la religion au mépris de la science correcte. Dans le premier cas c'est l'hérésie et ses corollaires, dans le deuxième c'est la dépravation de la pratique de la religion.
Ensuite Ibn Al Qayim, qu'Allah lui accorde Sa miséricorde, a ajouté : "Par une foi inébranlable on arrive à repousser la tentation des suspicions alors qu'avec la patience on peut venir à bout de la suspicion des plaisirs sensuels. C'est pourquoi Allah, exalté soit-Il, a subordonné l'imamat en religion à ces deux attributs : Et Nous avons désigné parmi eux des dirigeants qui guidaient (les gens) selon Notre ordre, aussi longtemps qu'ils enduraient et croyaient fermement en Nos versets. (Coran : 32/24). On a alors conclu que pour accéder à l'imamat il faut et il suffit d'être patient et persévérant et d'avoir une foi inébranlable. Il est aussi établi que pour finir avec la tentation des plaisirs sensuels il est nécessaire d'avoir un bon intellect et suffisamment de patience, que pour combattre la tentation des suspicions il faut être armé de perspicacité et de foi inébranlable. Il reste que Seul Allah peut prémunir l'individu et l'empêcher de succomber aux tentations."
Parmi les raisons qui font que l'individu cède aux tentations il y a cette disponibilité de l'esprit à y aller comme l'indique le Hadith : "les tentations sont d'abord exposées aux cœurs de sorte que ceux parmi eux qui y cèdent seront marqués d'un point noir qui sera apposé dessus". De même que celui qui accepte de s'y engager car, dans le Sahih, il est dit que : "Celui qui y a déjà succombé est bien meilleur que celui qui s'efforce d'y accéder, celui qui aspire à y succomber y périra".
Rien n'est plus propice à la propagation des tentations que les discussions à bâtons rompus. Expliquant les raisons de l'apparition de la plupart des tentations, Al Qortoubi écrit : "En racontant des mensonges aux despotes et en leur communiquant des informations fausses cela pourrait entrainer plus de courroux et d'homicides de leur part qu’il en résulterait de la propagation de la tentation elle-même".
Force est de constater que la tentation est susceptible de s'amplifier et de se développer quand elle a pour base une illusion. C'est ce qui est arrivé quand deux sahabas, honorables et particulièrement distingués, Abou Bakr et Oumar, se sont disputés au sujet du choix du chef de la délégation de Béni Tamim où chacun avait son propre choix. Alors Abou Bakr dit, s’adressant à Omar, "Tu n'as voulu que me contrarier"."Point du tout", rétorqua Omar et la discussion s'échauffa et s'enflamma chez le Prophète () au point que le narrateur du Hadith dise que nos deux bons et honorables sahabas ont failli périr.
Rien n'est plus susceptible de conduire à la tentation que le fait de faire prévaloir sa propre opinion au dépend des préceptes de la Charia. Ainsi, dans Sahih Al- Boukhari, il est mentionné que Sahl Ibn Hanif a dit :"O hommes ! Ne donnez pas à votre opinion plus de poids que vous n’en donnez à votre religion ".
Il se peut que l'on cherche de toute nos forces à échapper aux tentations et aux milieux qui sont infestées par elles, mais elles nous rattrapera et l’on nous obligera, malgré nous, à nous en mêler comme le dit Abou Darda, qu’Allah l'agrée, qui l’a appris à ses dépends : "Si tu les critiques, ils te critiqueront ; si tu les abandonnes, ils ne t'abandonneront pas ; si tu les fuis, ils te rattraperont…. ".
Aussi il est tout à fait possible que ton accession à une fonction pour laquelle tu n'es pas compétent soit une raison pour toi et pour ceux qui collaborent avec toi de succomber à la tentation. C'est ce qui explique la grande peur qui s'est emparée d’Amr Ibn Al Assi, qu'Allah l'agrée, au moment de sa mort. Il se rappela alors de ses jours avec le Prophète () en disant : "Si j'étais décédé à l'époque les gens diraient : bravo Amr ! Voilà un homme qui a embrassé l'Islam et qui est resté bon et correct jusqu'à sa mort, il a donc de fortes chances d'être admis au Paradis. Seulement j'ai du par la suite accédé au pouvoir et à bien d'autres choses. Je ne sais trop si c'est en ma faveur ou en ma défaveur….".
Si tu accèdes au poste de dirigent, prends soins de ne pas accabler les autres de responsabilités qu'ils ne peuvent supporter de crainte de les exposer aux tentations. Ayant appris que Mou'adh, qu'Allah l'agrée, prolongeait la prière qu'il dirigeait en tant qu’imam, le Prophète () lui dit en se répétant trois fois de suite : "O Moa'ad ! Veux-tu faire succomber les autres à la tentation ?!" Aussi Omar, qu’Allah l'agrée, a-t-il, dans un prêche du vendredi, fait cette mise en garde : "Evitez de battre les musulmans pour ne pas les humilier, de les mettre à rudes épreuves pour ne pas les faire succomber à la tentation et ne les privez pas de leurs droits pour ne pas en faire des renégats ".
Faire la part trop belle aux paroles au dépend des actes conduit souvent aux tentations et aux problèmes. Dans ce cadre, Ibn Taymiyya, qu’Allah lui accorde sa miséricorde, a dit :" Si les gens renoncent au Jihad, Allah peut bien susciter une animosité entre eux qui risque de se développer pour les faire succomber à la tentation comme c'est le cas d’ailleurs ". L'adage ne dit il pas qu' : "Une armée oisive (qui n’a rien à faire) est une armée prédisposée à la révolte ".
Parmi les effets néfastes de la tentation il y a le fait qu'elle fasse oublier à ceux qui y cèdent des réalités qu'ils connaissaient pourtant bien et des limites qu'ils respectaient bien. Pire encore, celui qui y succombe verra sa crainte d'Allah s'effritée et son attachement à la religion s'affaiblir. Ainsi lorsque, au Jour Dernier, certains appartenant à la Ouma du Prophète () sont repoussés loin de son Howd (cuve), le Prophète (), étonné, s'entendra répondre : "Que sais tu ? Ils sont revenus en arrière !". Le narrateur du Hadith –Ibn Malika-fit cette prière : "Seigneur accorde nous un asile auprès de toi pour nous préserver de revenir en arrière ou de succomber aux tentations ".
Aussi dans le fameux Hadith où Houtheyva posait des questions concernant le mal il y a cet extrait : "Ô Envoyé d'Allah ! Et ce calme avant la confusion ?" "C'est, répondit le Prophète, le fait que les cœurs de certains hommes ne retournent pas à leur situation de départ". L'interprétateur du Hadith explique ceci comme voulant dire que leurs cœurs ne seront jamais aussi purs, aussi sereins et aussi exempts de la rancune et de la haine qu'ils étaient auparavant.
Quand la tentation s'empare d'une société il y a tellement de confusion et d'actes insensés en son sein que l'on croyait être en présence de personnes prises d'un accès de folie. Ibn Hajjar rapporte les paroles suivantes attribuées à Ibn Abou Cheibah au sujet des tentations : "Puis viendra une tentation oscillante et vibrante telle une vague de mer qui rendra les gens comme des animaux" c'est-à-dire sans foi ni loi. Ceci est corroboré par le Hadith suivant rapporté par Abou Moussa : "La plupart des gens de cette époque perdront le sens de la raison".
Lorsqu'il se mit à exposer les raisons pour lesquelles il est primordial, même pour celui qui s'estime être sur la bonne voie, de rechercher refuge auprès d'Allah contre les tentations, Ibn Hajar se justifie en disant :"Qu'elles pourraient avoir des conséquences aussi imprévisibles qu'incalculables ".
Parmi les répercussions les plus graves que les tentations peuvent avoir il y’a le fait que l’individu concerné devienne inaccessible à l'admonition. Ahmed rapporte que l'un des frères d'Abou Moussa était si enthousiasmé par les tentations qu'il faisait fi des injonctions de celui-ci. Alors Abou Moussa lui dit :"je pensais que peu de conseils –ou d'admonition-te suffirait de ma part mais apparemment ce n'est pas le cas….”. Il y a même plus horrible que cela car les gens, dans pareils cas, deviennent si insensibles aux péchés qu'ils en viennent à les minimiser au point, selon Abdallah Ibn Omar," de ne faire aucun cas des homicides qui s'ensuivent".