Mu’ad Ibn Jabal (Radhiya Allahou ‘Anhou) a dit que le Prophète (Salla Allahou ‘Alaihi wa Sallam) l’a envoyé en mission au Yémen et lui a dit :
- Que feras-tu lorsque tu seras appelé à juger une affaire.
- Je me référerai à ce qu’il y a dans le Livre de Dieu.
- Et si tu n’y trouves rien (qui puisse t’aider à résoudre le litige) ?
- Alors, ce sera par la pratique du Prophète.
- Et s’il n’y a rien ?
- Je fais de mon mieux pour trouver la meilleur opinion et je ne me ménage pas.
Mu’ad a ajouté que le Prophète lui avait tapoté la poitrine et avait dit : Louange à Allah qui a rendu apte l’envoyé de l’Envoyé d’Allah à ce qui satisfait l’Envoyé d’Allah.
Ce hadith a été rapporté par plusieurs collecteurs de Hadith dont l’Imam Ahmed, Abou Daoud, Tirmidhi, al Darami, al Tabarani dans son Al Kabir, Abou Daoud Attayalissi, Al Bayhaqui, Al Khatib al Baghdadi et Ibn Abdelbarr dans son Jarm’ Bayan al’Ilm. Rassemblant l’unanimité et l’agrément de tous, ce célèbre hadith a été utilisé par les juristes et les spécialistes en sciences des fondements (Uçoul) pour affirmer la légitimité de l’effort intellectuel et de l’analogie en tant qu’instruments de déduction des normes. Son authenticité a été établie par, respectivement, Ibn Quayim al Jouziya dans son A’lam al Muwaqui’in, Al Khatib al Baghdadi dans Al Faquih Wa-l-Mutafaquih. Abou al Abbas ibn al Quass, selon ce que rapporte Al Hafid ibn Hajar dans son al Talkhiss al Kabir. D’autres comme Ach-Chawkani dans Irchad al Fuhul l’ont jugé authentique de la catégorie bon (hassan), d’autres par contre estiment qu’il demeure faible à cause de sa chaîne de garants, quand bien même un hadith faible pour sa transmission devient bon pour l’authenticité de son contenu, pour les nombreux témoignages qui confèrent à l’Ijtihad son caractère de légitimité et la thèse qui soutient que celui-ci devient un devoir religieux de suffisance communautaire comme nous allons l’exposer ci-après. A cet égard, il nous suffit de citer ce hadith figurant dans les deux corpus authentiques de Boukhari et de Mouslim : Lorsque le juge accomplit l’effort intellectuel et qu’il parvient au résultat juste, il est doublement récompensé, et s’il n’y parvient pas, il demeure néanmoins récompensé pour son effort. C’est pourquoi les Fuqahas en ont fait l’un des arguments majeurs en faveur de l’Ijtihad interprété comme un devoir de suffisance communautaire qui, au niveau de son énoncé s’adresse à toute la communauté, mais qui au niveau de son accomplissement, il suffit que certains membres de la communauté l’exécutent sans que le reste s’en acquitte, sinon toute la communauté aura failli à son devoir et aura donc péché.
Telle est la thèse de pratiquement tous les hommes de la Loi (Fuqaha) et qu’ils sont unanimes à adopter.
Cette thèse d’ailleurs se trouve corroborée par la réalité de la communauté musulmane depuis sa fondation jusqu’à notre époque, en passant par l’époque des compagnons et celle de la génération des dévots.
L’Ijtihad a de tous temps existé dans les sociétés musulmanes et même leur époque de décadence a connu des personnes compétentes pour fournir cet effort (même si en fait cela était limité). La preuve en est les nombreux avis juridiques traitant les affaires des gens à l’époque et sur lesquelles il n’y avait ni texte du Coran ou du Hadith, ni précédent dans la jurisprudence et qui par conséquent ont été émis à partir d’un effort intellectuel pour la déduction de la norme s’appliquant à ces nouvelles affaires, en se fondant sur l’une des écoles juridiques, ou bien sur les arguments de la Loi, ses desseins et ses objectifs généraux.
Dans son ouvrage Al Umm l’Imam al Chafi’i dit à son sujet : Dans tous ce qui a été révélé aux Musulmans se trouve une norme qui les oblige et à laquelle ils doivent s’astreindre si cette norme est explicite, sinon ils sont appelés à fournir l’effort intellectuel pour la déduire. Les dires des spécialistes à ce sujet sont nombreux.
les jurisconsultes sont unanimes qu’il n’est pas permis de traiter une question juridique avant qu’on ne connaisse la norme qu’Allah a établie pour elle comme le mentionne l’auteur de Al Murchid al Mu’in dans un vers de poésie didactique en ces termes :
Les questions (juridiques) ne se traiteront qu’une fois qu'on saura ce qu’Allah, les concernant, a établi comme norme.
Cette règle a d’autre part servi à l’exégèse du propos du Prophète (Salla Allahou ‘Alaihi wa Sallam) qui dit : La quête du savoir est un devoir religieux.
C’est d’ailleurs ce qu’il en est en fait. Les actes des individus obéissent à des prescriptions divines et les normes juridiques doivent être prises dans les textes du Coran et du hadith qui ont une relation intime avec la législation divine, textes connus sous l’appellation versets et hadith normatifs pour qu’ils soient distingués de ceux où sont abordés d’autres sujets que les normes, le licite et l’illicite.
Nous savons tous que les textes du Coran et de la tradition sont tous deux limités au niveau de leur nombre alors que les comportements que peuvent adopter les personnes sont eux, indéterminés, changent, se renouvellent perpétuellement et ne peuvent donc être embrassés totalement par un nombre de textes déterminés.
Et c’est là qu’intervient l’effort intellectuel (Ijtihad) en tant que solution à ce problème et que nécessité incontournable d’où cet Ijtihad tire sa légitimité même, mais aussi en tant que miséricorde d’Allah pour Ses créatures afin que Sa religion et Sa loi se perpétuent jusqu’au jour du Jugement dernier.
Partant, le rôle de l’Ijtihad ne peut être méconnu ni éludé, car il constitue un devoir religieux de suffisance communautaire (Fardu Kifaya) dont on ne peut se passer puisque avec le temps apparaissent des événements qui drainent des cas nouveaux, des habitudes et des contenus toujours renouvelés devant lesquels nous sommes dans l’obligation de connaître la norme divine et la position de la chari’a les concernant. Seul l’effort intellectuel est à même de surmonter cette difficulté comme le montre d’ailleurs le hadith, mentionné au début de cet article.