Durant toute ma vie j’ai été claustrophobe. Mais avant d’accomplir le pèlerinage, je n’ai jamais compris ce que signifie d’être pris au milieu d’une énorme foule, de ressentir mon anxiété monté en flèche et de réaliser qu’à n’importe quel moment je pouvais être pris d’une panique aveuglante. Jusqu’au jour où j’ai accompli pèlerinage. Trois millions de personnes en un seul lieu et au même moment, accomplissant les mêmes actes cultuels, est vraiment un miracle pour ceux d’entre nous qui ont le privilège de pouvoir témoigner d’une occasion aussi importante. Alors que je prenais soudainement conscience de la réalité de mon voyage et de ce que signifiait le fait de participer à ce pèlerinage, j’ai commencé sérieusement à m’inquiéter.
Mon premier contact avec l’immense foule que le pèlerinage rassemble année après année, n’a pas eu lieu à notre arrivée à la Mecque, mais plutôt à la mosquée, au Miiqaat, où nous, ainsi que les autres pèlerins en provenance de Médine, nous sommes arrêtés pour nous mettre en état d’Ihraam (Sacralisation). Aussitôt après avoir fait nos prières, et formulé notre intention pour les jours à venir, et après être entrés en état d’Ihraam, nous sommes retournés encore une fois vers l’immense aire de stationnement où des rangées interminables d’autocars, tous pleins à craquer, étaient alignées, visant la même destination : la Mecque.
En dehors de la saison du pèlerinage, quatre heures suffisent pour parcourir la distance qui sépare Médine de la Mecque, donc quand les chefs de groupes nous ont avertis qu’on allait parcourir cette distance en 15 heures, j’ai été choquée. Mais le plu étonnant est que le voyage en autocar n’a été ni fatiguant ni ennuyeux. Tout comme notre arrivée en Arabie Saoudite, quand il nous avait fallu attendre 20 heures en escale avant de parvenir à Médine. Le temps est passé très vite et avant que nous nous en soyons rendu compte, tout le monde pouvait apercevoir les célèbres minarets de Mosquée sacrée de la Mecque.
Après nous être un peu reposés, nous sommes sortis dans la rue à la recherche d’un taxi pour nous emmener au Haram, puisque pendant les journées précédant le début du pèlerinage, nous avons dû résider dans un hôtel plus proche de Mina que du Haram. Notre chauffeur de taxi nous déposa aussi proche du Haram qu’il le pouvait, mais avec les embouteillages, qui donnaient aux heures de pointe de Londres un air insignifiant, et les foules de gens, dont nombre d’entre eux vivaient carrément sur les trottoirs, leurs affaires éparpillées autour d’eux, il ne pouvait pas faire mieux, nous laissant un chemin délicat à parcourir à pied.
Nous avons accompli la ‘Omrah avec une facilité relative ; malgré le grand nombre de gens, il y avait encore de la place pour que d’autres puissent circuler facilement, chose qui fut impossible une fois le pèlerinage achevé et que tout le monde devait revenir à la Mecque pour leur Tawaf d’adieu.
A un moment donné, ma mère, ma sœur et moi-même avons été séparées de mon père et mon frère, et ce n’est que grâce à Allah que nous nous sommes retrouvés après une heure passée à se chercher. Après avoir accompli la ‘Omrah, nous sommes retournés dans l’avenue principale pour repérer un taxi vide qui nous ramènerait à notre hôtel, et à nos lits tant désirés, pour pouvoir finalement reposer nos corps fatigués.
Cependant pendant un long moment, il n’y a pas eu de voitures se dirigeant en dehors de le Mecque, ce qui avait des airs de catastrophe puisque chacun d’entre nous portait dans les mains des bidons de 10 litres d’eau de Zamzam. Nous avons marché le long du chemin jusqu’à ce que, fatiguée et déshydratée, je commence à avoir des vertiges et que je doive m’asseoir sur le trottoir au milieu du chaos des voitures et des gens. C’est à ce moment là que j’ai compris, pour la première fois de ma vie, ce que cela signifiait et comment on se sentait réellement quand on était pauvre. Je savais que je finirais par revenir à l’hôtel, même si nous ne trouvions pas de taxi, et que nous avions à parcourir ces quelques kilomètres à pied ; et c’est en pensant au confort qui nous attendait à la fin de cette longue et fatigante journée, qui m’empêcha de fondre en larmes, dans cette situation qui semblait si intolérable, étrange et effrayante.
Je me disais que cela devait être très dur pour ceux qui n’avaient aucun abri où retourner, qui ne pouvaient pas se rassurer à l’idée que cet état était temporaire, et que très bientôt le bruit, la poussière et la chaleur ne seraient qu’un souvenir lointain, une fois confortablement installé dans un hôtel cinq étoiles avec toutes les commodités possibles à portée de main.
Comme je l’ai appris dans les quelques journées qui ont suivi, les pauvres et les nécessiteux ont plus de force et de courage que ceux nous qui ont toujours connu le confort dans leur vie, qui n’ont jamais affrontés la difficulté, et qui considèrent comme allant de soi les bénédictions dont ils ont été dotés.
La première matinée des cinq jours officiels du pèlerinage, alors que je regardais par la fenêtre de ma chambre d’hôtel, j’ai vu des groupes de personnes formant des processions continues, qui traversaient le pont qui les emmènerait bientôt, ainsi que nous, vers ce qui deviendrait en réalité une des plus grandes villes du pays. La ville aux tentes de Mina était à une courte distance de notre hôtel, mais nos tentes étaient situées à l’extrémité opposée, donc cela nous a pris deux heures pour arriver là où nous allions passer la plupart du temps lors des cinq jours à venir ; un lieu où nous nous sommes rapidement sentis comme chez nous.
Les gens résidant dans les tentes mitoyennes étaient devenus nos voisins ; la partie particulière où notre tente se trouvait était devenue notre quartier, et l’étendue de terre sur laquelle notre tente était dressée était devenue notre rue. Quand nous avons quitté Mina pour la dernière fois, la pensée des allées vides qui étaient, il n’y pas longtemps, remplies par le bruit des gens, et les portes des tentes entrouvertes, laissant voir des matelas vides dans le silence inquiétant d’une ville fantôme, me rendit triste, comme si nous avions quitté un bon ami sans savoir quand nous pourrions nous rencontrer à nouveau.
Le rite qui me faisait le plus peur était le rituel de lapidation du Diable, à cause des histoires de ruées et de pèlerins morts écrasés.
Quand ce fut finalement notre tour de nous diriger vers Al-Djamaraate, comme de nombreuses jeunes filles de notre groupe qui accomplissaient le pèlerinage pour la première fois, je me suis sentie anxieuse et pleine d’inquiétude. Ma peur fut aggravée par ma claustrophobie, car jusque-là, nous avions évité les grandes foules, mais je savais qu’à présent je devais faire face à ma peur.
Pendant les 45 minutes de marche, j’ai réussi à me calmer par le biais des invocations. C’est à de tels moments que j’ai compris, non seulement la grande force des invocations, mais également l’importance de se soumettre complètement à la protection d’Allah, Exalté soit-Il, et de Lui demander de nous guider.
Les moments où je me suis sentie le plus effrayée furent également les mêmes moments où ma foi a été renforcée. Tandis que nous nous approchions des Djamaraates, nous nous sommes retrouvés sur un pont qui reliait les différents chemins menant au centre de Mina, et ce que je vis devant moi me coupa le souffle au sens propre du terme.
Chaque endroit disponible était occupé par un pèlerin, de telle manière que tout ce que l’on pouvait voir, c’était une masse blanche avançant doucement vers leur but commun. Le volume de gens lui-même m’a ouvert les yeux sur la grande popularité et la puissance de l’Islam, et même si je risque de passer pour une ignorante, je fus surprise d’apprendre qu’il y avait des Musulmans dans des pays dont je n’avais jamais entendu parler.
Voir tant d’hommes, de femmes et d’enfants en état d’Ihraam, tous semblant égaux, leurs statuts sociaux mis de côté, alors qu’ils marchent côte à côte, tout cela est impressionnant et démontre d’une belle manière le grand amour que les adeptes de l’Islam ont pour leur religion. Comme les foules devenaient de plus en plus denses à l’approche des trois piliers qui représentent, sous forme de masses solides, les endroits où le diable a essayé de détourner Abraham, ‘, des ordres d’Allah, Exalté soit-Il, nous nous sommes retrouvés au milieu d’un grand groupe.
Je me rappelle avoir ressenti une terreur totale et la panique me submerger, alors que mon pire cauchemar semblait devenir réalité, mais par la grâce d’Allah, Exalté soit-Il, nous fûmes sains et saufs, tremblants mais indemnes. Plus tard cette journée-là, les chèvres ont été sacrifiées, nous avons été libérés de l’état d’Ihraam, et il nous restait un dernier acte du pèlerinage à accomplir : le Tawaf Al-Wadaa’ (la circumambulation d’adieu).
Bien trop tôt, notre pèlerinage prit fin, les personnes, les lieux, les rituels et les émotions, ne furent plus que des souvenirs à chérir pendant toute la vie. Quand les gens entendent dire que j’ai eu le privilège d’accomplir le pèlerinage, nombreux d’entre eux me posent la même question : Qu’as-tu retiré de cette expérience ?
Ma réponse est simple. Participer au pèlerinage m’a fait découvrir une vérité toute simple : ce sont les petites choses de la vie que nous devons améliorer afin d’accomplir les plus grands changements dont nous avons besoin. Trop souvent nous nous concentrons sur de grandes actions qui changent la vie, alors qu’en étant gentil les uns envers les autres, en faisant preuve de plus de gratitude envers Allah, Exalté soit-Il, en compatissant avec les gens moins pourvus que nous, et de manière générale, en essayant simplement d’être de meilleurs êtres humains, nous pouvons faire grandir l’humilité et la gentillesse dans nos vies ; et ceci nous rapproche automatiquement d’Allah, Exalté soit-Il.
Le pèlerinage n’est nullement facile, mais sans aucun doute, il s’agit d’une expérience merveilleusement gratifiante et enrichissante. Ce n’est qu’après l’avoir accompli, que je peux dire que j’ai totalement compris la signification des rituels et du statut de ‘Haaji’ dont sont gratifiés ceux qui ont été choisis par Allah, Exalté soit-Il, pour participer au plus incroyable de tous les voyages. Comme je l’ai dit plus haut Voir tant d’hommes, de femmes et d’enfants en état d’Ihraam, tous semblant égaux, leurs statuts sociaux mis de côté, alors qu’ils marchent côte à côte, tout cela est impressionnant et démontre d’une belle manière le grand amour que les adeptes de l’Islam ont pour leur religion.