L'Islam de France, entre indigénat et médiocrité

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La grande faiblesse des musulmans de France a sans conteste pour cause principale leur grande division. Laquelle combine deux éléments essentiels qui s'entremêlent : les oppositions internes basées sur des différences d'interprétation de la religion, ce qui aboutit à la fragmentation de la communauté en différents courants religieux parfois antagonistes (Salafis, Tablighs, Frères musulmans, soufisme, islam traditionnel malékite, etc.) et celles qui ont pour fondements les incompréhensions intergénérationnelles mêlées de décalages culturels. Si le premier point est essentiel à analyser et à décrypter, c'est ici sur le second point que nous allons nous arrêter.
 

Pour des raisons historiques, il se trouve que la majeure partie des musulmans de France sont d'origine du Maghreb. Selon des chiffres officiels, plus de 80 % des personnes susceptibles d’être musulmanes sont originaires d'Algérie (43,2 %), du Maroc (27,5 %) et de Tunisie (11,4 %). Les autres sont originaires d’Afrique noire (9,3 %) et de Turquie (8,6 %). Une étude de 2009 évalue cette population d'origine maghrébine sur trois générations (immigrés, enfants et petits-enfants d'immigrés) à un peu plus de 3,5 millions en 2005 soit environ 5,8 % de la population métropolitaine cette même année (60,7 millions). Quant aux convertis, ils seraient en France aujourd'hui entre 70 000 à 110 000, il y aurait environ 3600 conversions tous les ans.
La pratique religieuse des musulmans de France n'est pas une chose aisée à mettre en exergue. Néanmoins, il semblerait que de manière générale cette dernière a connu peu d’évolution depuis 1989 puisque les personnes d’origine musulmane se disent pratiquantes à 75 % en 2011 tout comme en 1989, les chiffres entre ces deux dates ayant peu évolués ; on observe néanmoins une légère hausse à partir de 2001. Se considèrent musulmans, croyants et pratiquants, 41 % des personnes interrogées pour 3 % seulement qui se considèrent sans religion. Chez les 18/24 ans ils sont 28 % à déclarer prier quotidiennement, chez les trentenaires et les quadragénaires ils sont 40 % et chez les plus de 55 ans ils sont 64 %. Notons que la pratique du ramadan est effectuée à 71 % tout âge et sexe confondus. Le pèlerinage à La Mecque reste quant à lui une pratique minoritaire en raison de son coût élevé.
 

Remarquons que la pratique de la prière et la fréquentation des mosquées sont directement liées. Ainsi, étant donné que les plus de 55 ans sont plus pratiquants que les autres, les "vieux" sont majoritaires dans les mosquées et par voie de conséquence ils en deviennent le plus souvent les responsables. Cette mainmise des anciens sur les lieux de cultes musulmans français ne va pas sans poser quelques problèmes. A ce propos, une question se pose, ces derniers sont-ils à la hauteur des défis auxquels fait face la communauté musulmane française ? Il semble hélas qu'il faille répondre par la négative. En effet, ces derniers sont en général des immigrés de première génération venus en France pour y travailler comme ouvriers ou manœuvres sur les chantiers. Par conséquent, outre le fait qu'ils conservent une allégeance certaine pour leur pays d'origine, et donc qu'ils ne se sentent pas Français (même quand ils obtiennent les papiers), leur niveau culturel et intellectuel ainsi que leur connaissance de la langue française sont bien souvent très faibles. Les anciens ne possèdent donc ni les outils conceptuels ni les atouts socio-culturels qui leur permettraient de défendre au mieux les intérêts d'une communauté faible et vulnérable.


En ce qui concerne le non-attachement profond à la France des anciens ainsi que leur non-maîtrise de la langue, ils confortent les adversaires des musulmans dans l'idée que ces populations d'origine immigrée sont exogènes et donc inintégrables au substrat ethnoculturel français, voire qu'elles sont une cinquième colonne ou un ennemi de l'intérieur qui le cas échéant pourrait se retourner contre l'Etat et les populations de souche qui les ont accueillis. Pour illustrer ce propos, rappelons un chiffre édifiant : sur les quelques 2100 imams du pays, 75 % ne sont pas Français et un tiers ne parlent pas la langue de Molière. Il est ainsi scandaleux que dans de nombreuses mosquées, la khutba (prêche) du vendredi ne soit pas traduite en français. Il y a là comme un mépris pour les croyants musulmans qui ne connaissent pas l'arabe et ils sont nombreux (jeunes d'origine immigrée nés en France, convertis, Africains subsahariens, Turcs, Tchétchènes, etc.), comme si l'Islam n'était pas universel mais appartenait à quelques vieux berbères se glorifiant d'être musulmans depuis plusieurs générations tout en dénigrant le Gaouri (Français), quand bien même ce dernier serait musulman et plus instruit qu'eux en matière de science islamique. Par ailleurs, comment un imam qui maîtrise peu ou pas la langue de son milieu, et dont le rôle n'est pas simplement cantonner à l'accomplissement des prières, peut-il aider, conseiller ou guider de manière efficace des jeunes Français musulmans dont beaucoup rencontrent de graves difficultés (drogue, délinquance, prison, chômage, troubles identitaires, etc.) ? Il y a manifestement là une carence dramatique.
 

Outre leur méconnaissance de la langue, les responsables des mosquées ne possèdent pas les clés culturelles de leur société d'accueil. Ainsi, les tenants et aboutissants de certaines décisions politiques ou administratives leur échappent complètement, de ce fait ils défendent mal les intérêts de la communauté. De surcroît, leur statut de résident (pour la plupart) les place dans une position de faiblesse face aux autorités. Dans le cas d'un bras de fer avec ces dernières pour une question donnée, on leur rappellera ou on leur sous-entendra que s'ils ne sont pas contents ils peuvent toujours rentrer dans leur pays. Ils sont donc tenus par les papiers. Evidemment, les intérêts des musulmans français pâtissent de cette situation assez humiliante qui rappelle par certains côtés le régime de l'indigénat en vigueur dans l'empire colonial français. Comme si les schémas psychologiques issus du passé se maintenaient de manière inconsciente dans certains esprits, et ce, des deux côtés.
 

Il ressort de ce triste constat deux choses. D'abord, il semblerait que les autorités françaises, malgré leur ambition déclarée de mettre en place un Islam de France dirigé par des cadres français de nationalité et de culture, choisissent délibérément de maintenir des imams et responsables de mosquées étrangers et donc inadaptés à la réalité socio-culturelle du pays, le but caché étant d'avoir affaire à des gens en position de faiblesse (intellectuellement, administrativement ou économiquement) et donc plus malléables, voire manipulables. Ensuite, il apparait évident que les musulmans de France ont tout à gagner en confiant leurs affaires à des individus du cru (Magrébins nés en France ou convertis) bien formés et ne se laissant pas impressionnés par une administration qui ne pourra ni les prendre de haut ni les mener aisément en bateau. Evidemment, ce n'est ni dans les intérêts des piliers traditionnels de l'Islam de France ni dans celui des autorités de laisser faire cela, c'est donc aux jeunes générations formées de s'imposer, et ce, par l'intelligence, la diplomatie, l'habilité politique et surtout le bon comportement. Rappelons que ce droit à la dignité et au respect ne se quémande pas, il se prend de haute lutte. Les enjeux sont lourds et les musulmans de France ne pourront relever la tête que s'ils empruntent cette voie.

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