Aucune nouvelle lune annonçant l'arrivée d'un mois arabe ne retient autant l'attention que celle du mois de Ramadan étant donné qu'elle est liée au meilleur des mois auprès d'Allah, exalté soit-Il. Allah, exalté soit-Il, a distingué ce mois béni par plusieurs mérites dont le plus important est la révélation du Noble Coran au cours de la meilleure nuit de ce mois. Voilà pourquoi les jurisconsultes se sont intéressés aux dispositions se rapportant à l'observation de cette nouvelle lune et que les astronomes se sont intéressés aux calculs astronomiques liés à son apparition et aux moyens de l'observer. Les califes et le monde islamique célébraient la première nuit de ce mois. Les poètes et les hommes de lettres, quant à eux, rivalisaient pour faire son éloge et exprimer les sentiments de joie qui animent les gens à son arrivée.
Rien d'étrange dans cet accueil chaleureux. Car le mois de Ramadan marque le début du jeûne et annonce l'arrivée d'un déluge de miséricordes qui se déverse sur les musulmans. C'est la clé de jours bénis que les croyants attendent d'une année à l'autre tout en répétant l'invocation suivante :
Puissions-nous réussir à le jeûner comme il se doit et à y accomplir les meilleurs actes d'obéissance .
La nouvelle lune de Ramadan aux yeux des jurisconsultes :
Les jurisconsultes sont d'accord sur le fait qu'un mois islamique compte vingt-neuf ou trente jours. Le Prophète () a dit :
Allah a fait des nouvelles lunes un moyen de compter le temps. Jeûnez donc dès que vous voyez la nouvelle lune (de Ramadan) et rompez le jeûne dès que vous voyez la nouvelle lune (de Chawwâl). Si des nuages vous empêchent de la voir, considérez que le mois dure trente jours ! (al-Hâkim).
C'est l'observation de la nouvelle lune qui compte pour déterminer le début du nouveau mois et non pas les calculs. Selon Ibn 'Umar, qu'Allah soit satisfait de lui, le Prophète () a dit :
Nous sommes une communauté illettrée qui ne sait ni écrire ni compter. Le mois compte tantôt vingt-neuf, tantôt trente jours. (Boukhari).
Al-Hâfiz ibn Hadjar a dit dans Fath al-bâri : On traitait les arabes d'illettrés parce que rares étaient ceux qui pouvaient lire et écrire parmi eux. Allah, exalté soit-Il, dit (sens du verset) : C’est Lui qui a envoyé à des gens sans Livre (les gens illettrés) (Coran : 62/ 2). On ne peut pas ici répliquer en disant qu'il y avait parmi les Arabes des gens qui savaient lire et écrire, car cela était une chose très rare. Les calculs dont il est question ici sont les calculs astronomiques se basant sur le mouvement des astres. Dans ce domaine aussi les Arabes ne savaient que très peu de choses. C'est pourquoi le début du jeûne a été lié à l'observation de la nouvelle lune pour ôter toute gêne à ces gens qui auraient eu beaucoup de difficultés s'ils avaient eu à calculer le mouvement de la lune ; et cette façon de déterminer le début et la fin du jeûne a subsisté, même si dans les générations ultérieures il y a eu des gens qui savaient calculer. Tout lien entre le début, la fin du jeûne et les calculs astronomiques semble écarter. Cela est démontré par le hadith prophétique : Si des nuages vous empêchent de la voir, considérez que le mois dure trente jours . Le Prophète () n'a pas dit : Interrogez les spécialistes du calcul . La sagesse derrière cela est que toutes les personnes chargées du jeûne agiront de la même façon lorsque les nuages les empêcheront de voir la nouvelle lune, ce qui exclut toute polémique et toute divergence entre eux.
Selon la majorité des oulémas, le mois de Ramadan commence lorsque le mois de Cha'bân atteint trente jours complets, ou lorsque la nouvelle lune est observée, ne serait-ce que par une seule personne intègre étant donné le hadith rapporté par Abdallah ibn 'Umar, qu'Allah soit satisfait de lui. Il a dit dans ce hadith : Les gens se sont mis à scruter l’horizon à la recherche de la nouvelle lune (du mois de Ramadan). J'ai informé le Prophète () que j’ai vu cette lune. Il jeûna et ordonna aux gens de jeûner. (Abou Dawoud).
Un autre groupe d'oulémas est d'avis que le début du Ramadan ne peut être confirmé que par l'observation de la nouvelle lune par deux personnes intègres comme c'est le cas pour la nouvelle lune du mois de Chawwâl. Ils se fondent sur le hadith de 'Abd al-Rahmân ibn Zayd qui, doutant du début du mois de Ramadan prononça un discours et dit : J'ai côtoyé les Compagnons du Prophète () et ils me dirent que le Messager () avait dit :
Jeûnez dès que vous voyez la nouvelle lune (de Ramadan) et rompez le jeûne dès que vous voyez la nouvelle lune (de Chawwâl). Si des nuages vous empêchent de la voir, considérez que le mois dure trente jours. Et accomplissez le pèlerinage et le sacrifice selon cette observation. Et si deux témoins intègres et musulmans observent la nouvelle lune, jeûnez et rompez votre jeûne suivant leur observation de la nouvelle lune. (Ahmed).
Il y a aussi le hadith de l'émir de La Mecque, al-Hârith ibn Hâtib, qui dit : Le Prophète () nous a enjoint d'accomplir le pèlerinage et le sacrifice dès l'observation de la nouvelle lune. Si nous ne l'observons pas et que deux témoins intègrent l'observent, nous adaptons nos rites en fonction de leur observation. (Abou Dawoud).
La majorité des oulémas avance cependant que l'observation des deux témoins est requise dans le cas où l'observation d'une seule personne n'est pas exprimée verbalement et de manière explicite, dans le cas où cette personne fait un signe de la main du haut d'une montagne. Si en revanche, cette personne témoigne verbalement qu'elle a observé la nouvelle lune, son témoignage doit être accepté car le témoignage verbal est plus crédible.
La majorité des oulémas soutiennent qu'il ne faut pas tenir compte des différences qui existent dans l'observation de la nouvelle lune. Lorsque les habitants d'un pays observent la nouvelle lune, les habitants de tous les autres pays doivent jeûner car le Prophète () a dit :
Jeûnez dès que vous voyez la nouvelle lune (de Ramadan) et rompez le jeûne dès que vous voyez la nouvelle lune (de Chawwâl) . Et il s'agit-là d'un discours adressé à toute la communauté. (Boukhari et Mouslim).
D'autres oulémas estiment que l'observation de la nouvelle lune n'est valable que pour les habitants du pays qui l'observe et ils ne sont pas tenus de suivre l'observation des autres pays, étant donné ce qui a été rapporté par Kurayb qui dit : Je me suis rendu en Syrie et là-bas j'ai observé la nouvelle lune de mois de Ramadan le soir du vendredi. Puis je suis revenu à Médine à la fin du mois. Ibn 'Abbâs, qu'Allah soit satisfait de lui me demanda : ' Quand avez-vous observé la nouvelle lune ?' Je lui ai dit : 'Nous l'avons vue la nuit précédant le vendredi ?' Il m’a dit alors : 'Tu l'as observée toi-même ?' 'Oui, lui ai-je dit, et les gens l'ont observée. Ils ont jeûné et Mu'âwiyya aussi'. 'Mais, m'a-t-il dit, nous l'avons observée la nuit précédant le samedi et nous continuerons à jeûner jusqu'à ce que nous accomplissions trente jours ou que nous observions la nouvelle lune (du mois de Chawwâl)'. 'Ne te contentes-tu pas de l'observation de Mu'âwiyya et de son jeûne ?', lui ai-je dit. ' Non, m'a-t-il dit, c'est cette façon que le Prophète () nous a ordonné de faire. (Mouslim).
La majorité des oulémas affirment cependant que ce hadith concerne celui qui a jeûné conformément à l'observation de la nouvelle lune dans son pays, puis qu’on informe que les habitants d'un autre pays ont observé la nouvelle lune un jour avant lui. Dans ce cas, il doit continuer à jeûner avec les habitants de son pays et compléter les trente jours ou jusqu'à l'apparition de la nouvelle lune du mois de Chawwâl. Ainsi, il n'y a pas de problème. L'avis de la majorité des oulémas est prépondérant d'autant plus qu'il est facile de nos jours d'observer la lune, mais cela exige davantage d'intérêt de la part des Etats islamiques pour en faire une réalité tangible.
En attendant que les Etats islamiques se mettent d'accord sur la méthode à suivre, chaque population doit jeûner conformément à ce qui est établi par l'Etat dont elle relève. Elle ne doit pas être divisée en deux groupes, un groupe qui se conforme à ce qui est établi par l'Etat, et un autre groupe qui ne s’y conforme pas, et qui suit un autre Etat où le jeûne commence avant ou après, parce que cela élargit le cercle des divergences. Il en va de même pour une personne qui voit seule la nouvelle lune, elle ne doit pas jeûner toute seule étant donné le hadith du Prophète () :
Le jour de votre jeûne est celui où vous jeûnez ensemble, et le jour de votre rupture de jeûne est celui où vous rompez ensemble votre jeûne, et le jour de l'Aïd al-Adha est celui où vous célébrez ensemble le jour d'al-Adha . (Tirmidhî, avec des termes semblables).
Selon les savants, cela veut dire qu'il faut jeûner et rompre le jeûne avec l’ensemble des musulmans, mais celui qui se trouve dans un endroit isolé où il n'y a personne d'autre que lui, doit jeûner lorsqu'il observe la nouvelle lune puisqu'il n'y a que lui seul à cet endroit.
La nouvelle lune du mois de Ramadan dans le monde islamique :
Les pays islamiques accordent un grand intérêt à la nouvelle lune qui annonce l'arrivée du mois de Ramadan et guettent son apparition pour annoncer le début du jeûne qui devient alors obligatoire. Cette nuit est une des meilleures et des plus célèbres. C'est une nuit où les minarets des mosquées sont éclairés. Les médias écrits et audio-visuels célèbrent cette occasion. On annonce la bonne nouvelle et les gens échangent des félicitations. Des coups de canon sont tirés. Les savants et les prédicateurs s'activent. Dans les associations religieuses, les cours de religion se multiplient.
Autrefois, l'éclairage des mosquées était renforcé à la vue de la nouvelle lune du mois de Ramadan. Le célèbre écrivain abbasside Ahmad ibn Yûsuf a dit : Le calife al-Ma`mûn m'a demandé d'écrire des lettres aux gouvernants des Etats pour leur dire d'ordonner aux gens d'installer un grand nombre de lanternes pendant le mois de Ramadan et de leur faire connaître les mérites de cela . Et d'ajouter : Je ne savais pas ce que je devais écrire ou dire à ce propos étant donné que personne n'avait fait une chose pareille avant moi, et qu’il n’y avait personne à qui je puisse emboîter le pas. J'ai fait la sieste et j'ai vu quelqu'un me dire dans un rêve : ' Ecris : Cela servira de distraction pour les passants, d'éclairage pour les adorateurs actifs, exclura les suspicions et mettra les maisons d'Allah, exalté soit-Il, à l'écart des ténèbres'. Je me suis alors réveillé et j'ai su que je devais écrire cette lettre ; je me suis mis à la rédiger et je l'ai achevée .
Les califes et les gouvernants musulmans n'ont jamais fait preuve d'arrogance lorsqu'il s'agissait de grimper, avec les juges et les témoins, sur des lieux élevés pour observer la nouvelle lune du mois de Ramadan. Al-Asma'î a dit : J'ai grimpé avec le calife Hârûn al-Rachîd sur un lieu élevé pour observer la nouvelle lune du mois de Ramadan .
La nouvelle lune de Ramadan dans la poésie :
Les poètes vertueux avaient pour habitude de souhaiter la bienvenue au mois de Ramadan et de s'ingénier à le décrire, à le considérer comme un présage de bien et de bénédiction.
Des anecdotes tirées de l'Histoire :
On raconte qu'un groupe de personnes dont fait partie Anas ibn Mâlik, qu'Allah soit satisfait de lui, le Compagnon et serviteur du Messager d'Allah () alla observer la nouvelle lune du mois de Ramadan. Anas, qu'Allah soit satisfait de lui, qui avait presque cent ans dit : ' je l'ai vue, la voilà ' et il se mit à la pointer du doigt, mais le reste du groupe ne la voyait pas. Le juge IIyâs était parmi ce groupe et il était doté de perspicacité et d'intelligence. Il regarda Anas et vit qu'un poil blanc de son sourcil pendait devant son œil. Il l'écarta et l'arrangea au niveau de ses sourcils. Il dit à Anas, qu'Allah soit satisfait de lui : Regarde maintenant, ô Abû Hamza ! . Anas, qu'Allah soit satisfait de lui, se mit à regarder de nouveau et il dit alors : Je ne la vois plus .
Un jour les gens se réunirent la nuit pour guetter la nouvelle lune du mois de Ramadan. Ils se mirent à scruter l'horizon pour apercevoir la nouvelle lune, mais en vain. Subitement un homme cria : Je l'ai vue, je l'ai vue .
Les gens s'étonnèrent de l'acuité de sa vue et lui dirent : Comment as-tu pu la voir alors que nous ne l’avons pas vue ?! . L'homme fut flatté de cet éloge qu'on lui adressa et dit alors en criant : Il y a une autre nouvelle lune à côté de la première . Les gens se mirent alors à rire.
Une nuit, les gens grimpèrent sur le sommet d'une montagne pour observer la nouvelle lune de Ramadan, mais ils ne purent pas la voir et lorsqu'ils envisagèrent de s'en aller, un gamin la vit et la leur montra. L'un des gens dit à ce gamin : Annonce à ta mère la bonne nouvelle de la faim dévorante .
Les habitants de Bassora allèrent un jour observer la nouvelle lune, l'un d'eux l'observa et se mit à la montrer du doigt jusqu'à ce que les autres l'aient aperçue. Lorsque vint le temps d'observer la nouvelle lune de la rupture du jeûne (lune de mois de Chawwâl), al-Djamâz, anecdotier, alla voir cet homme et lui dit : Lève-toi pour nous sortir de ce bidule où tu nous as introduit ! .
Sous le règne du sultan Muhammad al-Nâsir ibn Qalawûn, le mois de Ramadan arriva en hiver et le temps était nuageux ; de ce fait, l'observation de la nouvelle lune du mois de Ramadan ne fut pas officiellement proclamée. Les gens se mirent alors d'accord de ne pas jeûner le lendemain, mais la femme du mufti du pays essaya de l'observer à partir du toit de sa maison et, dotée d'une vue perçante, elle put voir la nouvelle lune à travers les nuages. Elle en informa son mari qui la crut et alla voir le sultan pour lui raconter ce qui s’était passé. Le sultan la convoqua alors, lui fit jurer qu'elle avait vu la nouvelle lune et l’auditoire la crut. On proclama alors officiellement l'observation la nouvelle lune et les gens jeûnèrent le lendemain. Cette femme fut nommée officiellement par la suite comme témoin pour observer la nouvelle lune. Aucune femme avant ou après elle ne bénéficia de cette grande estime au point de servir de référence.