Est-ce que la Bourse est halâl ou harâm

69428 1999

C’est une question que l’on pose souvent, mais qui, pour avoir une réponse conformément à la Charia, ne doit pas être sortie de son contexte habituel de demande de fatwa.
Il est bien connu que les fatwas varient avec les conditions. L’on sait, par exemple, que Hasan ibn 'Alî, qu'Allah soit satisfait de lui, a donné une fatwa à deux hommes au sujet du repentir du tueur selon laquelle le repentir de l’un pourrait être accepté alors que celui de l’autre ne le pourrait pas. Il s’en est expliqué en faisant valoir que l’un semble plein de remords et que l’autre semble assoiffé de vengeance. Ce qui veut dire que la fatwa varie avec la situation de celui qui la pose.

A mon avis, cela s’applique aux transactions réalisées au niveau de la bourse. Les objectifs des transactions dans le marché boursier se divisent d'un point de vue économique entre l'investissement, la spéculation et l'arbitrage, donc le jugement de la Charia ne peut être le même pour ces trois objectifs.

Mais comme je ne suis pas habilité à promulguer des fatwas en matières religieuses je ne me laisserai pas en avoir l’audace et, toujours mû par le même souci, je trouve les cheikhs d’al-Azhar trop dignes et trop vertueux pour faire des fatwas concernant des domaines spécialisées dont ils ne maitrisent pas suffisamment tous les aspects scientifiques et techniques. Il est donc souhaitable, voire recommandé, que l’on se complète mutuellement. Pour ce faire je présente ma contribution sur cette question importante, en donnant quelques éléments de réponse aux questions confuses que l’on pose ici et là.

Dans leur plus simple expression, les transactions dans le marché boursier consistent en un achat d'actions dans l'une des sociétés qui, en résultat, fait que l’acheteur possède une propriété dans cette société et alors l’action devient, par définition, un titre de propriété. Jusqu’ici le cheikh ne trouve pas, dans cette description, une vente sujette à suspicion parce qu’entrant dans le cadre des transactions interdites et, par conséquent, il pourrait faire une fatwa selon laquelle le marché boursier est halâl dans toutes ses transactions.

C’est le cas aussi de la vente de l'immobilier qui fait passer sa propriété d'une personne à une autre. Une opération de vente de ce genre n’est pas interdite pour un défaut dans le produit. Ne sait-on pas que la vente des tapis de prière ou des vêtements de pèlerinage pourrait, en dépit de la pureté de son objet, se transformer d’une vente propre et halâl en une vente harâm lorsque l’opération de vente se trouve entachée de fraude, de supercherie ou de tricherie.


Si le produit de la bourse est un nombre d’actions en sociétés, il n’y a pas de suspicion. Mais cela diffère lorsque le produit ou l'actif vendu est une dette sous forme d'obligations. Comme l'endroit ne permet pas d’entrer dans cette polémique qui nous entraînerait dans le domaine de l’interdiction du produit lui-même et non de l’opération, et en raison aussi de la suspicion liée à l'usure résultant du revenu fixe des titres, je limiterai le reste de mon article à la discussion de la négociation des actions qui, selon la définition apparente, ne peut être décrite comme étant un produit harâm.

Mettons nous d'accord que nous sommes en train de négocier un produit halâl que sont les actions. Dans ce cas rien ne le différencie des aliments halâl-s, des chapelets, des vêtements de pèlerinage ou des tapis de prière. Mais est-ce que cette pureté du produit fait de l’opération de négociation sur le marché boursier, tel que nous le connaissons aujourd'hui, une vente halâl ?

Ici il convient de nous arrêter et de ne pas risquer une réponse trop hâtive.

En effet, si celui qui achète une action dans telle ou telle société (on suppose, pour simplifier, que l'activité de cette société n’est pas usuraire et qu’elle fonctionne conformément à la loi islamique) est mû, avant l’opération d’achat, par l’intention d’investir son argent en vue de participer à ses activités et obtenir une part des profits, alors il n’enfreint pas la Charia.

Il n’y a pas de mal pour lui s’il revend ses actions lorsque leur valeur boursière augmente avant de recevoir les dividendes réguliers, préférant sortir de cette activité en ayant, sur le capital, réalisé des profits qui sont la différence entre le prix de l'action à l’achat et son prix à la vente.

Jusqu’ici, l’investissement et même la spéculation dans le marché boursier sont corrects selon la Charia à condition toutefois que l'intention de l'acheteur soit de contribuer à une activité visant à accroître ses actifs de façon halâl.

Cela vaut aussi pour l'arbitrage où un client récolte des profits résultant de l'achat d'actions d'une société dans un marché boursier en vue de les vendre sur un autre marché à un prix relativement plus élevé. C’est ce que nous voyons dans les transactions en matière de certificat de dépôt mondial d’actions de sociétés égyptiennes enregistrées dans des bourses étrangères.

En effet, le client fait des efforts, utilise son intellect ainsi que des outils et des modèles de mesure pour calculer ces différences, mais supporte aussi les frais de conversion et des risques soit pour la conversion des certificats en actions et vice-versa soit pour la conversion des devises en taux de change en constante évolution.

Quel est le problème alors ?
Si nous voulons répondre à cette question, on doit examiner les aspects de l’opération de négociation sur le marché boursier et les faire ramener à leurs éléments fondamentaux.
Or, l’opération d'achat d'actions d'une société nécessite la présence d’un vendeur, d’un acheteur, d’un intermédiaire (courtier) et d’un marché (bourse) ainsi que d'autres parties importantes telles qu’une société de compensation et de règlement, des dépositaires, un organe de contrôle et des structures d'analyse technique et financière.

Si tu veux évaluer la légitimité, en termes de conformité à la Charia, de cette opération, il ne te suffit pas de la débarrasser de tous ces éléments, tu dois tout simplement vérifier la nature du produit acheté, s’il s’agit d’actions alors c’est un partenariat et le partenariat est halâl!
Aussi, il ne faut pas que certaines pratiques atypiques de certaines de ces parties te poussent à adopter une opinion stricte à ce sujet, car les pratiques atypiques ne sauraient servir de modèles.

Pour la première partie qui est le vendeur est-ce que, dans l’opération de vente, il triche ou fraude ? Qui sait ? Il pourrait, avec la complicité d’un certain nombre de personnes dont le courtier, essayer d'enfreindre la loi et suggérer au marché boursier que l’action à vendre est plus chère que sa valeur réelle. De ce fait, il donne au public des informations fausses et met sur les écrans de négociation des demandes fictives qui l'aide dans sa supercherie.

Il se peut aussi qu’au départ l'acheteur cherchait à obtenir de la bourse un gain rapide à l’image de celui que font miroiter les médias aux appelants des numéros spéciaux commençant par 09. Dans ce cas l’opération de négociation se transforme en une table de jeu où l’agent parie sur le numéro gagnant lequel n’est pas réalisé en vertu d’une activité réelle de la société objet de vente ou même d’informations positives la concernant.

Mais c'est le résultat de ce qu’appellent les manipulateurs "al-Bûla" ou "le Gym" où s’agglutinent les teneurs du marché de la bourse qui contrôlent le prix de telle ou telle action et utilisent des écrans de négociation pour diffuser de fausses informations sur les actions objet d’ "al-Bûla". Ces informations différent de celles que propose la direction de la divulgation à la bourse, mais elles sont plus importantes et, surtout, plus efficaces.

Il s'agit d'un ensemble de signes positifs ou négatifs (selon le cas) qui se résument en offres et en demandes fictives qui laissent entendre aux autres clients que le prix de cette action va augmenter ou diminuer. Dès lors, la majorité des clients sera soumise à ce que, en psychologie, on appelle le comportement du troupeau et alors se réalisera ce à quoi aspirait le flambeur au départ.

Et le courtier?
Dans de nombreux marchés boursiers internationaux les parties, les agents, les individus et les établissements ne se connaissent pas entre eux et ne traitent qu’avec les courtiers et les teneurs des marchés. Ils sont tous des intermédiaires qui réalisent des bénéfices et des gains à partir de transactions gagnantes ou perdantes.

Que fait le courtier pour gagner plus que sa commission ?
Il peut recourir à l'octroi de crédit formel et informel, il peut aussi recourir au comportement d’"al-Bûla" et diffuser des rumeurs et même les utiliser dans la propagation des rumeurs et des fausses informations véhiculées par certaines sociétés et structures amies travaillant dans le domaine de l'analyse technique et financière.

Le courtier peut également utiliser les noms des agents à leur insu après lui avoir signé sur un blanc des ordres d'achats et de ventes. Sans parler des autres ruses innombrables auxquelles recourent, dans différents pays, un nombre de professionnels de ce métier.

Il y a aussi la direction de la gestion et de la surveillance du marché boursier et les structures de compensation et de règlement qui sont toutes supposées faire preuve de neutralité et d'indépendance et être soucieuses de la sauvegarde des biens de tous les agents.

On doit à la vérité de dire – toute proportion gardée - que personne ne met en cause l'intégrité de la gestion des casinos de Las Vegas, la capitale du jeu. Il est de l’intérêt de la direction de la gestion du marché boursier, toutes dénominations et structures confondues, de faire en sorte que, autant que possible, l’opération de négociation se passe avec la plus grande transparence et neutralité.

Est-ce que de telles pratiques, de la part du vendeur, de l'acheteur, du courtier et des structures d'analyse, sont des pratiques irrégulières dans le marché égyptien et qu’elles ne sont pas valables pour servir de référence pour interdire les transactions sur le marché boursier égyptien ?

La réalité de la situation nous indique que de telles pratiques sont la règle prévalant au niveau de la Bourse et que, s’il y a autre chose, c’est l’exception qui ne peut servir de référence. Ici je ne suis pas en position de lancer des accusations et donc je ne demande pas qu’on me fournisse, preuve à l’appui, des statistiques que personne n’est en mesure de cerner.

Il est du devoir de tous ceux qui ont des questions à poser dans ce domaine (fatwas) de sonder leurs cœurs avant de mettre leur argent dans une bourse dans le monde pour se demander s’ils sont à l'abri de la pratique de la fraude, de la manipulation et des fausses suggestions visant à réaliser des gains ?

Décident-ils d’engager des opérations d’achats avec telle ou telle société tout en étant avertis ou conscients de son activité et de ses gains ? Sont-ils à l'abri de la manipulation du courtier pour qu’il ne leur fasse pas réaliser des gains auxquels ils n’ont pas droit ?

Et puis, tout compte fait, est-ce que ceux qui, avec leur argent, ont fui les banques en raison d’une suspicion usuraire dans leurs transactions savent qu'ils traitent avec ces banques soit en y participant à travers l’achat de leurs actions, soit en y déposant leurs actions par des dépositaires ou, au mieux, par les nombreuses et entremêlées transactions avec la société de courtage qui a diverses activités de crédit et qui peut parfois confondre les comptes des clients ?

Autant donc de questions que l’on doit poser et se poser avant de repartir, la conscience tranquille, forts de la fatwa qui décharge la bourse de la suspicion de l'interdiction.

Par ailleurs, avant de demander une fatwa à des oulémas, il faut que ceux-ci soient parfaitement avisés de la toile de fond de l'activité boursière afin que la fatwa puisse correspondre à la réalité de la situation.

Il reste à signaler qu’on n’a pas abordé les outils de la dette, les dérivés et autres produits d’indicateurs ainsi que le climat et ce qui est connu conventionnellement par dérivés exotiques.

Quant aux titres islamiques, il s’agit d’une autre question qui nécessite un ou plusieurs articles dont la place n’est pas ici.
 

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