Nous allons dans les points qui suivent traiter de quatre catégories d'héritiers pour lesquelles le droit musulman réserve un traitement particulier : l'enfant naturel, l'hermaphrodite, le bénéficiaire d'une reconnaissance de parenté (iqrar) et le trésor public.
1. L'enfant naturel
L'enfant naturel couvre deux catégories :
- L'enfant né hors mariage, dit aussi enfant adultérin. Le droit musulman n'admet pas son lien de parenté avec son père, même si ce dernier l'a reconnu comme son fils né d'un rapport illicite. On estime à cet égard que le lien de parenté est une grâce, et cette grâce ne peut résulter que d'un contrat de mariage valide, et nullement à la suite d'un péché. On rattache donc l'enfant uniquement à sa mère.
- L'enfant né dans le mariage d'un père ayant obtenu une décision judiciaire écartant cette filiation. Ceci s'effectue selon un procédé de désaveu dit serment d'anathème (li'ân) prévu par le Coran lui-même. Allah, exalté soit-Il, dit : Et quant à ceux qui lancent des accusations contre leurs propres épouses, sans avoir d'autres témoins qu'eux- mêmes, le témoignage de l'un d'eux doit être une quadruple attestation par Allah qu'il est du nombre des véridiques, et la cinquième [attestation] est "que la malédiction d'Allah tombe sur lui s'il est du nombre des menteurs". Et on ne lui infligera pas le châtiment [de la lapidation] si elle atteste quatre fois par Allah qu'il [son mari] est certainement du nombre des menteurs, et la cinquième [attestation] est que la colère d'Allah soit sur elle, s'il était du nombre des véridiques (Coran 24/6-9).
Les enfants adultérins ou désavoués par serment d'anathème héritent de leur mère et de ses parents ; de même leur mère et ses parents héritent d'eux. Ils ne peuvent donc pas hériter de leur père biologique ou des parents de ce dernier, et leur père ou parents de ce dernier ne peuvent pas hériter des enfants en question. L'enfant naturel ne peut être héritier à titre de ‘asab, sauf de la part de ses descendants.
Il hérite de sa mère ou des parents de cette dernière à titre de fard, et la mère ou ses parents héritent de lui à titre de fard. L'enfant naturel ne peut venir à la succession des parents de sa mère que sous réserve du terme légal de l'accouchement. Ce qui signifie qu'il doit naître vivant dans les 365 jours après la gestation par adultère ou la séparation par anathème.
Voyons deux exemples :
- Un fils naturel laisse une mère, le père de sa mère et un frère de sa mère. La mère reçoit le tiers à titre de fard, et le reliquat de la succession ; le père et le frère de la mère sont considérés comme des héritiers par l'utérus et donc n'héritent rien en présence d'un héritier à titre de fard.
- Un fils naturel laisse une mère et un frère issu de cette dernière, et un oncle maternel. La mère reçoit les deux tiers à titre de fard et par partage supplémentaire et le frère reçoit le tiers à titre de fard et par partage supplémentaire. L'oncle ne reçoit rien en présence d'un héritier à fard.
2. L'hermaphrodite (khuntha)
En droit musulman, le sexe d'une personne est déterminant pour connaître sa part dans la succession. D'où le problème posé par les hermaphrodites dotés de caractères des deux sexes à des degrés différents. Les juristes musulmans entrent dans les détails de cette anomalie sexuelle pour déterminer la part qui revient à l'hermaphrodite.
- Celui qui a les deux organes masculins et féminins, s'il urine avec son sexe masculin, il est classé comme un héritier de sexe masculin ; s'il urine de son vagin, il est classé comme un héritier de sexe féminin. S'il urine des deux organes, le sexe dont sort l'urine en premier lieu détermine son sexe.
- S'il urine des deux organes simultanément, on parle alors d'hermaphrodite douteux. Dans ce cas, on attendra sa puberté avant de lui attribuer une part de l'héritage afin de déterminer quel est le sexe dominant : s'il a une barbe et produit du sperme, il sera classé comme un héritier de sexe masculin, et s'il a des seins et des règles, il sera classé comme un héritier de sexe féminin.
- Si l'hermaphrodite douteux produit du sperme et a une barbe, et en même temps il a des seins et des règles, il sera considéré comme hermaphrodite douteux.
- S'il l'hermaphrodite douteux meurt avant la puberté, sans pouvoir déterminer son sexe dominant, il sera alors traité comme un héritier hermaphrodite douteux.
L'hermaphrodite dont le sexe prédominant n'est pas déterminé (khuntha muchkil), aura droit à la part la moins favorable. Le reste de la succession est attribué aux autres héritiers. On calculera donc quelle serait la part qu'il recevrait en tant qu'homme, et sa part qu'il recevrait en tant que femme, et on lui accordera la part la moins favorable.
3. Les bénéficiaires d'une reconnaissance de parenté (iqrar)
On distingue la reconnaissance de parenté directe et celle de parenté indirecte.
- La reconnaissance de parenté directe est celle dans laquelle il n'y a pas d'intermédiaire entre le reconnaissant et le reconnu. C'est le cas de la reconnaissance de paternité, de maternité et de filiation : tel est mon fils, tel est mon père, telle est ma mère. Si les conditions d'une telle reconnaissance sont remplies, elle crée un lien de parenté entre le reconnaissant et le reconnu, sans possibilité de retour en arrière. La reconnaissance concerne le fils, la fille, le père et la mère, auxquels on ajoute l'épouse s'il n'existe pas d'empêchement pour une telle reconnaissance et que l'époux meurt sans revenir sur sa reconnaissance. Cette reconnaissance directe crée une vocation successorale entre le reconnu et le reconnaissant, comme pour tout autre héritier.
- La reconnaissance de parenté indirecte est celle dans laquelle il y a un intermédiaire entre le reconnaissant et le reconnu. C'est le cas lorsqu'une personne reconnaît que tel est son frère, son oncle, son petit-fils, son grand-père. Une telle reconnaissance ne crée pas de lien de parenté entre le reconnaissant et le reconnu, et il est toujours possible de revenir en arrière sur cette reconnaissance. Mais une telle reconnaissance a des effets sur le plan successoral à certaines conditions fixées par le droit musulman :
Le bénéficiaire d'une reconnaissance de parenté indirecte de la part du défunt a droit à la succession, pourvu que sa filiation soit inconnue, que sa parenté étrangère au défunt n'ait pas été établie et que le défunt n'ait pas rétracté sa reconnaissance.
Il faut en outre que le bénéficiaire de cette reconnaissance soit vivant au décès du défunt ou à la date du jugement déclaratif de décès et qu'il ne se trouve dans aucun cas d'empêchement à la succession.
Le droit à la succession dans ce cas n'est pas à titre d'héritier, mais de légataire, en signe de respect de la volonté du reconnaissant. Le reconnu recevra donc un legs, mais un legs privilégié assimilable à l'héritage. Il faut en tenir compte dans le calcul de l'actif de la succession pour l'établissement du tiers disponible. On commence donc par s'acquitter du legs dans les limites du tiers disponible, ensuite on prélève les parts des héritiers fard, suivis des héritiers ‘asab, suivis des héritiers par l'utérus, suivis des bénéficiaires de reconnaissance indirecte, et enfin on revient, s'il en reste, au légataire de plus d'un tiers.
Signalons ici que la reconnaissance indirecte ne nécessite pas l'approbation de la personne reconnue, et le droit de succession s'exerce dans un sens unique. Ainsi le reconnaissant n'a pas de droit à la succession sur les biens du reconnu.
4. Trésor public
À défaut d'héritiers à titre de fard, de ‘asab ou par l'utérus, les actifs de la succession vont au Trésor public.