La ville iraquienne de Bagdad occupe une importance historique et géostratégique de tout premier ordre qui fait d’elle un objectif stratégique à chaque fois qu’un conflit armé éclate entre des parties ambitionnant de contrôler l’Iraq. Toutefois, il est notable que malgré les attentions particulières, et notamment sécuritaires, portées par les divers pouvoirs qui se succédèrent à la tête de l’Iraq à travers le temps pour s’y maintenir, les observateurs sont stupéfaits par les chutes dramatiques, rapides et inattendues que la ville de Bagdad connut tout au long de son histoire. En effet, si nous regardons de plus près l’histoire de cette ville et les différentes occasions durant lesquelles elle dut faire face à des envahisseurs et autres conquérants, nous constatons que celle-ci souffre d’une faible capacité défensive contre les entreprises guerrières, et ce, bien que Bagdad est l’une des villes du monde les plus sous tension et exposées au déchaînement de conflits provoqués par la présence dans leur environnement immédiat de multiples courants et groupes idéologiques aux intérêts contradictoires. Si la ville de Bagdad a connu un nombre impressionnant d’invasions, de destructions, de dévastations, d’altérations et de remaniements, nous avons néanmoins choisi de nous arrêter sur les événements les plus importants et emblématiques de l’histoire tragique de cette ville :
-En 812, une dissension éclata entre les deux fils du calife abbasside Hârûn al-Rachîd, c’est-à-dire Muhammad al-Amîn et al-Ma`mûn. C’est ainsi que ce dernier décida de se révolter contre son frère al-Amîn, pour ce faire il envoya une armée qui fit le siège de Bagdad durant près de quinze mois, puis il finit par prendre la ville par la force, al-Amîn, sa mère et ses proches furent donc contraints de quitter le palais pour se réfugier dans le quartier d’al-Mansûr ; par ailleurs, il faut noter que l’armée d’al-Ma`mûn, qui souffrait de la faim et de la soif, se dispersa dans la ville où ses hommes massacrèrent de nombreuses personnes et volèrent beaucoup d’argent, puis al-Amîn fut sommé d’indiquer le lieu des nombreux palais, résidences luxueuses, maisons et magasins abritant des richesses, les hommes d’al-Ma`mûn les pillèrent donc puis ils les brûlèrent ; enfin, ce dernier fit tuer son frère al-Amîn et détruire ses appartements, et d’ailleurs il faut signaler que cette guerre fratricide faillit mener à la destruction totale de la ville de Bagdad.
-En 1258, Bagdad tomba entre les mains des Mongols qui la détruisirent complètement et massacrèrent ses habitants, de plus ils mirent la main sur le calife abbasside al-Musta’sim billah et sur sa garde rapprochée puis ils les exécutèrent de manière extrêmement brutale. Les Mongols perpétrèrent leurs exactions et méfaits dans Bagdad durant quarante jours et ils n’en sortirent qu’après que l’air se fut chargé de l’odeur pestilentielle des corps en putréfaction dispersés dans les rues de la ville comme le rappellent certains livres d’histoire, et d’ailleurs l’historien musulman Ibn Tabâtabâ a brillamment évoqué dans l’un de ses livres ce que subirent les gens de Bagdad lors de ces jours funestes : Il s’est produit là-bas un carnage indescriptible, un pillage hors du commun et des scènes frappantes dont il est difficile d’entendre la description et que l’esprit a du mal à concevoir : il s’est passé des choses dont je ne veux pas me rappeler, et il vaut mieux ne pas en parler .
-135 années après cet événement terrible, Tamerlan, qui n’était autre que le petit-fils du chef Mongol Hulagu, attaqua Bagdad qu’il finit par investir, puis il y tua des dizaines de milliers de ses habitants et ils supplicia les survivants parmi eux dans les rues afin de leur soutirer leur argent.
-Une année après la prise de Bagdad par Tamerlan, le sultan Ahmad entreprit le siège de cette même cité, il finit par y pénétrer par la force et y commis dans ses rues avec ses hommes des massacres terribles, mais cette fois-ci ce furent les hommes de Tamerlan qui de massacreurs devinrent les massacrés.
-17 années après cette dernière prise de Bagdad, la ville iraquienne subit une attaque cette fois perpétrée par l’armée d’un certain Qurrat Yûsuf, le siège dura un peu plus de cinquante jours, et quand la cité tomba entre les mains de ces nouveaux envahisseurs, ces derniers achevèrent de faire disparaître le peu de choses encore belles qui s’y trouvaient de même qu’ils pillèrent sans relâche et massacrèrent la plupart des habitants de la ville parmi les Arabes.
-Puis en 1508, Bagdad fut prise par un certain Ismâ’îl al-Safawâ, ce qui fit tomber l’Iraq dans l’escarcelle des Safavides ; ce chef de guerre fit exécuter les habitants de Bagdad et notamment ses oulémas. Il faut noter que cet Ismâ’îl ne quitta Bagdad qu’après y avoir installé un calife le représentant auquel il donna le surnom de calife des califes , et ce, dans le but de se moquer des musulmans.
-En 1534, c’est le sultan ottoman Sulaymân qui entreprit d’assiéger la ville de Bagdad, après un court siège il pénétra dans cette dernière sans trop de difficultés, puis il massacra les quelques Safavides qui s’y trouvaient encore et ordonna la reconstruction des lieux islamiques importants que les Safavides avaient scrupuleusement détruits.
-Et c’est donc quatre siècles plus tard que les Britanniques s’emparèrent à leur tour de la capitale iraquienne, ces derniers imposèrent à l’Iraq un mandat après avoir mis fin à la monarchie hachémite, notons que le règne de cette dernière se termina par un massacre perpétré dans le palais d’al-Rihâb où périrent la plupart des membres de la monarchie hachémite.
-Puis après ces événements douloureux pour les Iraquiens, Bagdad connut une série de coups d’Etat militaires sanglants qui aboutirent à la prise du pouvoir de Saddam Hussein et du partie Baas à partir de 1968.
-Puis, le 20 mars 2003, ce fut au tour d’une coalition occidentale menée par les Etats-Unis d’entreprendre l’invasion de l’Iraq et donc la prise de Bagdad ; ce conflit armé inique, officiellement organisé pour apporter la démocratie au peuple iraquien alors qu’il ne s’agissait que de mettre la main sur les réserves pétrolières du pays et assurer la sécurité de l’Etat sioniste voisin, entraîna les plus grosses pertes en vie humaine parmi des civils de toute l’histoire de l’Iraq mais également les plus grosses pertes de soldats américains depuis la guerre du Vietnam. Notons que malgré les affirmations de l’armée iraquienne et de son haut commandement selon lesquelles celle-ci était largement capable d’arrêter cette offensive occidentale et selon lesquelles quiconque voudrait s’emparer de Bagdad mourrait aux pieds de ses remparts, le monde entier fut stupéfait par la chute rapide de la capitale iraquienne ainsi que par l’effondrement total de la capacité de résistance de l’armée iraquienne seulement quelques heures après que les forces blindées américaines eurent commencé à attaquer le palais de la République avec le soutien de leurs forces aériennes.
Ces petits paragraphes très courts relatant des faits historiques majeurs de l’histoire de la Ville de la paix (Madînat al-Salâm), c’est-à-dire Bagdad, avaient pour objet de monter que cette ville a depuis sa création en 149 de l’Hégire par Abû Dja’far al-Mansûr été le théâtre d’incessants conflits et d’invasions, lesquelles invasions se produisirent environ une fois tous les trente ans.
Ainsi, en ces jours funestes pour le monde musulman et pour l’Iraq en particulier, la ville de Bagdad se préparent peut-être à vivre des moments qu’elle connaît trop bien, car en effet ses habitants entendent de nouveau les bruits de bottes d’un nouvel envahisseur dont la sauvagerie n’a d’égal qu’une compréhension totalement erronée de l’Islam et dont l’autonomie politique doit nécessairement être remise en question tant il apparaît que des forces puissantes le manipulent en sous-main. Le monde retient donc à nouveau son souffle se demandant si l’histoire va encore se répéter et si par conséquent Bagdad va une nouvelle fois tomber de manière dramatique comme ce fut le cas de nombreuses fois par le passé ou bien si elle va renverser le sens de l’histoire par un changement dans l’équilibre des forces.