L'audace de la foi

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L'audace de la foi

 

La prière n'a jamais été aussi difficile.

Les bibliothèques sont comme des studios. Aucun son ne passe inaperçu. Aucun bruit n’est émis sans que quelqu'un ne lève les yeux ou, dans ce cas, un bibliothécaire n’intervienne et somme immédiatement le perturbateur de la paix de se taire, réduisant ainsi le pollueur sonore au silence.

Progressant à pas de loup, d’une étagère à l’autre, et papillonnant nerveusement sur les rayons, je m'efforçais d'être aussi silencieux que possible.

Chaque pas, chaque petit souffle courageux était soigneusement mesuré à un niveau exact de décibels, ni plus ni moins.

La seule dynamique que je n'ai pas réussi à contrôler était le battement de mon cœur et un ton beaucoup plus subtil qui a, en quelque sorte, dépassé toutes mes barrières sonores, mon pare-feu construit par une matrice mentale, mon esprit étouffé. C’était semblable à une flûte, en ce sens qu'elle était à la fois douce et tamisée. Pourtant, en même temps, c'était perçant et audacieux, un hymne constant, frappant dans mon environnement intérieur. C'était mon âme : ma petite charge vivifiante !

Cela m'appelait, chantant un doux Adhân (appel à la prière) que moi seul pouvais entendre dans ce monde muet de livres. Et ô, comme je l'ai aimé, mais je l'ai redouté !

J'ai dû trouver un endroit pour faire la prière, quelque part dans cette bibliothèque d'université, lors de mon premier trimestre d'études supérieures. Mais j'avais tellement peur de la faire, j’étais tellement timide de m'incliner devant les autres, tellement inquiet de l'impression que je pouvais dégager. Et si une personne malveillante m'attaquait ? Et si j'étais méprisé parce que j'étais un fanatique imbécile ? Les titres des journaux ont traversé mon esprit : Un complot terroriste dévoilé sur le campus universitaire ! Homicide rituel offert à la bibliothèque du campus ! La main d'Al-Qaïda est arrivée jusqu’à la campagne ! Un bibliothécaire utilise un pistolet à impulsion électrique contre un étudiant fanatique.

Passant pas moins de 10 fois à côté de l'horloge sur le mur, l'aiguille des minutes a commencé à s’imposer dans mon esprit, chaque seconde sonnant comme un battement assourdissant sur une bouilloire. La situation devenait désespérée. Je ne pouvais pas manquer ma prière. Mais qu'en était-il des gens ? Qu'en était-il de toute la douleur possible, des résultats potentiels, internes et externes ?

J'ai senti que je devais respirer. Je devais aller faire la prière. C'était une fonction corporelle. Je me suis battu [contre mon âme] en silence, faisant semblant de lire des livres au hasard sur la politique. À ce moment-là, si les bibliothécaires avaient pu entendre ce qui se produisait à l’intérieur de moi, avec tous les débats furieux et les fracas intenses en cours, ils m’auraient probablement mangé vivant. À quel point cette situation difficile était mauvaise pour moi.

Me trainant juste à temps [avant la fin de la période prescrite de la prière], j'ai trouvé un endroit relativement isolé et tranquille et j'ai commencé à accomplir ma prière. Chaque mouvement perceptible était un mouvement titanesque, une opération épuisante pour moi. J'avais l'impression que ma taille cette charnière corporelle qui nous permet de nous pencher et de nous prosterner était rouillée. J'avais vraiment besoin d’un lubrifiant spirituel.

C'était une épreuve périlleuse, du moins pour moi. J'y ai réfléchi toute la semaine. Il m’a fallu toute ma volonté pour faire simplement la prière, pour exprimer ma piété, ma gratitude envers Allah, l’Être formidable derrière mon architecture organique, mon physique magique, mon expression créatrice, ma passion artistique mon moi intérieur, cette âme invisible qui fait de moi qui je suis. Et maintenant, éprouvé par le feu et mesuré, je me rends compte que mon âme, le cadeau que m’a fait mon Créateur, n'a pas fait l’objet de la reconnaissance qui Lui est due lorsqu’elle se trouvait dans une situation inappropriée.

Je regarde la Création autour de moi les chevaux et les oiseaux, les arbres et la neige qui tombe, les petites sources et les collines et je sais que j'ai été témoin d’un culte authentique et complet. Battant, sautillant, grandissant, tombant, bouillonnant, toutes ces créatures vouent un culte à leur Créateur de leurs manières uniques et prescrites. L'oiseau vole et accomplit sa prière, ses fonctions corporelles. Nos compagnons chevalins s’élancent dans les plaines du monde entier.

Ils accomplissent leur but, expriment leur adoration et donnent un élan, non seulement à leurs formes gracieuses, mais aussi à leurs âmes tendres. Les arbres atteignent les cieux. Les ruisseaux murmurent, coulant de la terre. Tout voue un culte à Allah, le Tout-Puissant.

Étant une créature, parmi toutes les créations qui vivent dans le monde, nous ne sommes en aucun cas dispensés de remplir nos fonctions jusqu'à leur achèvement. Étant des créatures composées d'esprits, d'âmes et de corps, nous devons satisfaire tous ces aspects individuellement pour rester en bonne santé, pour posséder cette audace, ce rebond qui nous maintient en pleine floraison, à fond la caisse, si vous pardonnez l'expression.

Nous mangeons, buvons, faisons de l'exercice, faisons l'amour et bien d'autres choses pour répondre à nos besoins corporels. Pour étancher la soif de notre intellect, nous allons à l'école, lisons des manuels d'instructions, relevons de défis mathématiques et mémorisons.

Mais que faisons-nous pour notre esprit, notre noyau interne qui inspire toutes les autres parties de notre corps ? Nous faisons la prière. Une réponse simpliste ? Je crois que non.

L'adoration ouvre tout notre être à une brise rafraichissante de l'extérieur, apaise nos intérieurs enflammés et inspire l'esprit, le corps et l'âme. Voudriez-vous vivre dans une maison où l'on asphyxie ? Nageriez-vous dans un marais stagnant, sans source ni courant pour le nettoyer ? Aimeriez-vous avoir les ailes coupées ?

La prière, pour nous, est devenue un acte exceptionnel, une lutte titanesque : cinq batailles par jour ! Flottant dans la stratosphère de la vie laïque moderne dans nos montgolfières, il est tentant de jeter ces sacs en toile de prières, ces lourdes responsabilités par-dessus bord.

Car aux yeux de ma génération montante, la prière a été rétrogradée au rang de fardeau spirituel, à un acte de foi audacieux. Mais sans elle, comment pouvons-nous être en bonne santé ?

Maintenant, si nous devons nous battre pour accomplir quelque chose d'aussi fondamental que la prière, avec quoi devons-nous nous efforcer simplement de survivre ? L'adoration doit être une chose dont il faut être fier, non pas pour se vanter, mais pour vivre une vie pleine.

La prière que nous connaissons cette prière de l'Islam est le paradoxe ultime, la véritable ironie, car elle nous ramène littéralement sur Terre et nous rend humbles. Pourtant, en même temps, elle nous élève tout autant, sans ambiguïté vers les cieux et, voici que nous nous métamorphosons en êtres sublimes, meilleurs que les anges. Et il s’agit de quelque chose contre lequel il vaut la peine de ne pas lutter. S’abandonner.

Source : Aljumuah

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