La compréhension des finalités de la religion à travers l’épisode des Bani Quraydha
Les prémisses de la compréhension des finalités de la religion sont apparues du vivant du Prophète (). Certains compagnons avaient une compréhension des textes du Coran et de la Sunna conforme à leurs finalités. Pour eux, les sens des versets du Coran et des paroles du Prophète () doivent être compris en fonction de l’objectif de leur révélation et non pas uniquement en fonction de la lettre du texte. Le Prophète () a approuvé cette méthodologie ce qui en fait un procédé religieux tout à fait légitime et qui peut être suivi pour comprendre les hadiths du Prophète (). Aussi, à travers l’épisode des Bani Quraydha, nous apparait en toute clarté la comparaison entre la méthodologie de la compréhension de la finalité des textes scripturaires et celle d’une compréhension littérale.
Dans le recueil de Mouslim, selon Abdullah ibn Mas’ûd (qu’Allah soit satisfait de lui) : Le Prophète () nous a appelé le jour où il quittait la bataille des coalisés et nous a dit : Qu’aucun d’entre vous ne prie la prière du Dhohr avant d’être arrivé chez les Bani Quraydha. Certains compagnons eurent peur de ne pouvoir accomplir la prière avant la limite du temps prescrit pour le faire. Ils l’ont donc faite avant d’être arrivés chez las Bani Quraydha. Mais d’autres ont dit : Nous ne prierons que là où le Prophète () nous a ordonné de le faire quand bien même nous devrions l’accomplir après le temps prescrit pour la faire. Ibn Mas’ûd conclut : Le Prophète () ne blâma aucune des deux parties.
Concilier les deux versions du hadith :
Ainsi est la version de Mouslim, il est dit : Qu’aucun d’entre vous ne prie la prière du Dhohr. Alors que dans la version de Boukhari, dans le chapitre de la prière de la peur, selon Ibn Omar, il est dit : Le Prophète () nous a dit le jour où il revenait de la bataille des coalisés : Qu’aucun d’entre vous ne prie la prière du ‘Asr avant d’être arrivé chez les Bani Quraydha. A l’heure du ‘Asr, certains compagnons étaient encore sur la route les menant chez les Bani Quraydha. Une partie d’entre eux dit : nous ne prierons qu’une fois arrivés sur place. D’autres objectèrent : Nous la prions plutôt maintenant. Ce n’est pas cela qui a été voulu de nous. Lorsqu’ils mentionnèrent cela au Prophète () il ne blâma aucune des deux parties.
Pour concilier les deux versions de ce hadith dont l’une mentionne la prière du Dhohr et l’autre celle du ‘Asr, il est possible de les comprendre comme suit :
- Ces propos ont été tenu après l’entrée de l’heure prescrite de la prière du Dhohr. Et seule une partie des compagnons auxquels il s’adressait avaient déjà accompli cette prière à Médine, les autres ne l’ayant pas encore faite. Ainsi, en s’adressant à ceux qui n’avaient pas encore prié le Dhohr, il leur demanda de ne pas la faire avant d’être arrivé chez les Bani Quraydha. Et en s’adressant à ceux des compagnons qui avaient déjà prié le Dhohr à Médine il dit : ne priez pas le ‘Asr avant d’être arrivé chez les Bani Quraydha.
- On peut aussi concilier les deux versions du hadith en les comprenant ainsi : il est possible qu’il ait dit en s’adressant à tous ces compagnons : ne priez ni le Dhohr ni le ‘Asr avant d’être arrivé chez les Bani Quraydha.
- On peut aussi le comprendre ainsi : A ceux qui sont partis en premier il dit : Qu’aucun d’entre vous ne prie la prière du Dhohr avant d’être arrivé chez les Bani Quraydha. Et à ceux qui sont partis par la suite il dit : Qu’aucun d’entre vous ne prie la prière du ‘Asr avant d’être arrivé chez les Bani Quraydha.
Et Allah sait mieux que quiconque.
La synthèse des avis sur la question : laquelle des deux parties avait raison ?
Au cours de cet épisode, les compagnons se sont retrouvés face à un texte prophétique. Ce texte comportait un sens apparent, celui d’accomplir la prière une fois arrivé chez les Bani Quraydha. Et un autre sens, intelligible, qui était l’objectif de celui qui les a tenus, à savoir de les inciter à se dépêcher de se rendre chez les Bani Quraydha. Les compagnons se sont donc divisés en deux parties qui ont chacune emprunté un procédé différent pour le comprendre. Sachant que le Prophète () a acquiescé l’attitude des deux parties sans blâmer aucun de ces deux procédés. Mais la question qui se pose ici est la suivante : les deux parties avaient elles raisons dans leur façon de procéder ou alors est-ce que l’une des deux seulement a eu raison de comprendre le texte à sa façon, recevant alors deux récompenses pour leur effort de réflexion, et l’autre s’étant trompé, bénéficiant malgré leur erreur d’une récompense pour leur effort de réflexion ?
Dans son ouvrage Zâd Al-Ma’âd, Ibn Al-Qayyim a dit : Les savants se sont opposé pour déterminer laquelle des deux parties a eu raison. Un groupe de savants déclara : les compagnons qui ont retardé l’accomplissement de la prière sont ceux qui ont raison. Et si nous avions été avec eux nous aurions agi comme ils l’ont fait et nous ne l’aurions pas accompli avant d’être arrivé chez les Bani Quraydha pour se conformer à l’ordre du Prophète () et en délaissant toute interprétation du texte contraire à son sens apparent. Mais un autre groupe de savants fut d’un autre avis. Ils affirmèrent : Au contraire, les compagnons qui ont prié sur la route durant le temps prescrit sont ceux qui ont précédé leurs frères et obtenu un double mérite. Ils se sont empressés de prendre la route pour se conformer à l’ordre prophétique mais se sont aussi empressés de satisfaire leur Seigneur en accomplissant la prière durant son temps prescrit. Puis, se sont empressés de rejoindre leurs frères et ont donc obtenu le mérite du combat et le mérite de la prière accomplie durant son heure prescrite. Ils ont compris ce que le Prophète () attendait d’eux par ses propos. Ils ont donc eu une meilleure compréhension que leurs frères. Surtout qu’il s’agit ici de la prière d’Al-‘Asr qui est la prière médiane de la bouche même du Prophète () dans un hadith authentique et explicite qu’on ne peut nullement remettre en doute. La Sunna enjoint les fidèles de l’accomplir assidûment et de s’empresser à la faire au début du temps prescrit. Des hadiths mentionnent que celui qui ne l’accomplit pas durant son temps légal est comme s’il avait perdu sa famille et ses biens, ou que ses bonnes actions sont vaines. Aucune autre prière n’est décrite de la sorte. Ainsi, ceux qui ont retardé l’accomplissement de la prière du ‘Asr, le mieux qu’on puisse dire à leur sujet est qu’ils sont excusés et bénéficient même d’une récompense pour s’être attaché au sens apparent des propos prophétiques et pour leur intention de se conformer à son ordre. Mais de là à dire que ce sont eux qui ont eu raison alors que les autres compagnons qui se sont empressés de faire la prière sur la route, durant le temps prescrit, et se sont empressés de participer aux combats, qu’ils sont fautifs d’avoir agi comme ils l’ont fait, ce n’est sûrement pas le cas. Les compagnons qui ont prié sur le chemin les menant chez les Bani Quraydha ont su concilier les propos prophétiques et ont donc obtenu les deux mérites et les deux récompenses. Alors que les autres compagnons n’ont droit qu’à une seule récompense, qu’Allah soit satisfait d’eux tous. Fin de citation.
En donnant raison aux compagnons qui ont prié sur la route, Ibn Qayyim et les autres savants qui sont de cet avis soutiennent la méthodologie de la compréhension des textes en fonction de leur finalité. Ce procédé permet de concilier les textes et garantit leur compréhension. Avec ceci, il ne convient pas de blâmer outre mesure ceux qui s’attachent au sens apparent du texte lorsque sa compréhension fait suite à un effort de réflexion. Le fait que les savants divergent pour déterminer laquelle des deux parties a eu raison est une preuve qu’un avis sur cette question ne peut être donné que suite à un effort de réflexion et peut donc être l’objet de divergence.
Exemple de la compréhension des textes selon leur finalité chez les compagnons :
Lorsque nous méditons les efforts de réflexion des compagnons pour comprendre le sens des hadiths, nous ne pouvons que constater que l’effort de réflexion pour comprendre la finalité et les objectifs des propos du Prophète () est l’attitude la plus évidente qui régit leur façon de procéder. Nous pouvons donner les exemples suivants des quatre califes :
- Lorsque les compagnons durent désigner Abu Bakr en tant que calife et successeur du Prophète (), ils se sont préoccupés de ce fait plutôt que de terminer les funérailles du Prophète (). En agissant ainsi, ils ont pris en considération l’une des finalités de la religion qui est de préserver la sécurité de la communauté et stabiliser la situation politique de peur que ne surgissent des troubles et des tensions.
- On peut en dire de même lorsqu’ils prirent la décision de réunir les gens autour d’une seule et même lecture du Coran. Sachant que cet évènement n’avait pas de précédent. Ils ont agi ainsi uniquement en prenant en ligne de compte l’une des finalités et un des objectifs de la religion qui est la concorde entre les membres de la communauté et couper court à toute opposition sur les questions d’ordre religieuses.
- Omar ibn Al-Khattâb (qu’Allah soit satisfait de lui) a dû prendre durant son califat un certain nombre de mesures suite à des efforts de réflexion et nous citerons les suivantes : 1- concernant la part de la Zakât devant revenir à ceux dont les cœurs sont à gagner. 2- en délaissant la mise en application de la peine légale pour les voleurs l’année de la famine. 3- en mettant en place des registres pour consigner les noms des gens. 4- en validant le divorce de qui le prononce trois fois en une seule phrase. Tout cela montre clairement qu’il cherchait à comprendre les sagesses qui sous-tendent aux textes de la révélation, qu’il réfléchissait pour savoir ce qu’on attendait du fidèle à travers ces textes et quels en étaient les objectifs. Et c’est selon cette voie que les successeurs des compagnons, et les savants par la suite, ont procédé à leurs efforts de réflexion pour déterminer les statuts religieux.
Dans son livre Al-Muwâfaqât, Al-Châtibî dit en expliquant les deux piliers qui permettent de déduire les statuts religieux : la langue arabe et la connaissance des finalités du Législateur et des sagesses de Ses règles, il dit : Le premier pilier – la science de la langue arabe – était une qualité inhérente aux compagnons, à leurs successeurs, et ceux d’entre eux qui étaient de purs arabes. Ils n’avaient pas besoin de règles de grammaire pour leur permettre de la comprendre. Tout comme ils avaient acquis le deuxième pilier - la connaissance des finalités du Législateur et des sagesses de ses règles – parce qu’ils avaient vécu longtemps avec le Prophète () et connaissaient bien les raisons pour lesquelles des lois étaient légiféré. En effet, le Coran et la Sunna étaient révélés de façon progressive en fonction des évènements qui survenaient. Et avec la pureté de leur intention, ils parvenaient à saisir ce qui relevait des intérêts et savoir quelles étaient les finalités et les objectifs que le Législateur visait lorsqu’il instituait une loi. Toute personne peut en prendre connaissance si elle se penche sur leurs dialogues lorsqu’ils sollicitaient les avis des savants et les consultaient au sujet des statuts religieux sur lesquels ils préféraient ne pas prendre de décisions hâtives.