Des héritiers veulent récupérer l'argent dépensé par un défunt pour sa femme
Fatwa No: 301348

Question

Assalam Alaykum, je vous contacte au sujet d’un testament et d’un héritage. Je suis née au Yémen, où j’ai été mariée très jeune à un homme violent. Lorsque j’ai accouché de ma première fille, il a refusé d’appeler un médecin bien que je l’ai supplié parce que ce médecin était un homme mécréant et qu’il n’y en avait pas d’autre. Quand il a vu que j’avais une fille, il était furieux. La sage-femme pour sortir mon enfant a endommagé mon utérus et a dit que je ne pourrais pas avoir d’autre enfant. Mon mari m’a alors répudiée et chassée de la maison avec ma fille, sachant que je n’avais pas d’argent et plus de famille (il ne m’a jamais payé ma dot) et que j’avais encore une hémorragie à la suite de mon accouchement.
J’ai rencontré un homme alors que j’étais toute seule dans la rue, que Dieu le bénisse, et il m’a amenée à l’hôpital, m’a donné de l’argent et a payé les soins. Un ancien voisin de mon mari lui a raconté mon histoire. Cet homme m’a proposé le mariage à la fin de ma période de viduité quand il a appris que je ne pouvais pas avoir d’enfant, à plusieurs conditions. La première était que j’accepte de rester avec lui-même s’il était atteint d’une maladie très grave et qui le rendait stérile, la deuxième que j’accepte de le suivre en France et la troisième que j’accepte d’allaiter en même temps que la mienne la fille de quelques mois qu’un ami qui était mourant lui avait confiée (cette petite fille était orpheline de mère) pour qu’elle devienne notre fille de lait.
Il a été un très bon époux, il a pris bien soin de ma fille et de notre fille de lait, il a payé leur éducation, il m’a emmenée faire le Hadjj, donné une bonne dot, payé des études, et offert beaucoup de bijoux et un logement. Hélas il est mort de sa maladie et je suis restée veuve. Il a fait un testament dans lequel il disait qu’il léguait un tiers de ses biens comme suit :
- La moitié à notre fille de lait (adoptée par Kafala)
- Un tiers à ma fille aînée (adoptée par lui par Kafala)
- Le reste à la veuve de son oncle maternel qui est aussi sa mère de lait, qui est âgée, pauvre et qui doit s’occuper de ses petits-enfants (qui ne sont pas les descendants de l’oncle maternel de mon ancien mari mais d’un autre époux)
Le reste du testament dit que les autres biens doivent être partagés selon la loi islamique, que je suis la tutrice de notre fille de lait qui n’a plus aucune famille et que son oncle est chargé de me trouver un autre époux si je le souhaite (ce qu’il a fait). Il parle aussi d’une dette seule à payer.
Je voudrais donc que le tiers des biens de mon mari soit réparti en 6 parts : 3 pour notre fille de lait, 2 pour ma fille aînée, et 1 pour la tante maternelle par alliance.
Mon mari n’a jamais eu d’enfants, il laisse du côté maternel une sœur de sa grand-mère mariée et sans enfants, et du côté paternel un oncle qui a dit qu’il renonce à l’héritage s’il a des droits et 3 cousins, fils d’un autre oncle. Mon mari était très riche.
Ces cousins contestent le testament en disant qu’il est illégal. Ils contestent aussi mon droit à hériter, en disant que je ne suis pas légalement la veuve, puisque mon premier mari n’avait pas le droit de me répudier alors que je venais d’accoucher (j’ai un acte de répudiation écrit signé de mon premier mari et de 4 témoins). Ils disent aussi que j’ai perdu mes droits puisque je me suis remariée. Ils disent aussi que tous les dons que mon mari m’a faits sont illégaux, puisqu’il était atteint de la maladie qui l’a tué, et que les dons qu’un homme fait au cours de la maladie qui le tue ne sont pas valables. Ces dons ont été faits au cours de 3 premières années de mariage, saufs quelques bijoux, et notre mariage a duré 10 ans. La maladie de mon époux était de naissance, et nous savions qu’elle finit toujours par tuer le malade.
Ils disent que je dois rembourser les frais que mon époux a dépensés pour mes soins médicaux. Nous avons trouvé un médecin français capable de m’opérer pour que je puisse avoir un jour des enfants, et mon époux a payé plusieurs opérations en disant que puisqu’il y avait beaucoup de raisons de craindre que je sois veuve jeune (il avait 32 ans de plus que moi), il voulait que je puisse un jour avoir des enfants en me remariant. Les cousins estiment que mon époux qui était stérile n’avait pas à dépenser de l’argent pour que son épouse puisse porter un jour les enfants d’un autre homme. Il devait encore de l’argent au médecin au moment de sa mort, et j’ai pris de l’argent sur son compte pour payer la dette.

Réponse

Louange à Allah et que la paix et la bénédiction soient sur Son Prophète et Messager, Mohammed, ainsi que sur sa famille et ses Compagnons :

Notre réponse à votre question se résume en ce qui suit :

Premièrement : ce qui est obligatoire avant toute chose, c’est de s’empresser de rembourser la dette du défunt envers le médecin ou autre avant toute autre chose, car la dette d’un défunt passe avant l’exécution des testaments et le droit des héritiers sur l’héritage. Vous avez donc bien agi en remboursant sa dette comme vous l’avez mentionné.

Deuxièmement : le testament qu’il a fait et dont vous avez fait mention ne peut être exécuté que s’il est confirmé par des témoins dans le cas d’un refus des héritiers de l’exécuter. Or, ce testament ne peut être confirmé par le témoignage d’une femme. Les jurisconsultes divergèrent sur le nombre de témoins par lesquels un testament est confirmé. Certains d’entre eux dirent qu’un testament est confirmé par le témoignage d’un homme et de deux femmes ou d’un homme et d’un serment alors que d’autres dirent qu’il n’est confirmé que par le témoignage de deux hommes.

Ibn Muflih al-Hanbalî a dit : Le témoignage d’un homme et deux femmes ou d’un homme avec un serment suffit-il pour l’exécution d’un testament comprenant des biens ou seuls deux hommes sont-ils acceptés comme témoins ? La divergence est présente et elle a été mentionnée dans le livre intitulé al-Ri’âyatayn ainsi que dans le livre intitulé al-Hâwî. L’un des avis est que cela (le témoignage d’un homme et deux femmes ou d’un homme avec serment) est permis et cet avis est l’avis correct. Quant à l’autre avis, il stipule que seul le témoignage de deux hommes est accepté. Ibn Abî Mûsâ a dit : "Le testament n’est confirmé que par deux témoins (de sexe masculin)…" (Al-Furû’)

Quelle que soit la situation, le testament de votre mari ne peut être confirmé par votre seul témoignage, particulièrement en raison du fait que ce testament est en partie en faveur de la fille issue de votre premier mariage et que votre témoignage implique donc un bénéfice en faveur de votre fille. Par conséquent, si aucune preuve de la véracité de ce testament ne peut être apportée ou que les héritiers ne vous croient pas, ce testament ne peut alors pas être exécuté.

Troisièmement : dans le cas où le testament est confirmé, ce dernier accordant un tiers des biens de votre mari à votre fille issue de votre premier mariage, à votre fille (à vous deux) de lait et à la veuve de l’oncle maternel de votre défunt mari est considéré comme valide, car il ne dépasse pas un tiers des biens du défunt et n’est pas en faveur d’un héritier de ce dernier. Ce testament doit être donc être exécuté et partagé selon la volonté du défunt en donnant la moitié de ce tiers à votre fille de lait, un tiers à votre fille issue de votre premier mariage et le reste à la veuve de son oncle maternel. Ce tiers légué en testament doit donc être divisé en six parts et partagé comme suit : trois parts pour votre fille de lait, deux parts pour votre fille issue de votre premier mariage et une part pour la veuve de son oncle maternel.

Quatrièmement : concernant le doute des héritiers de votre mari à propos de la validité de votre mariage avec lui à cause du fait que votre précédent mari vous a répudiée durant votre période de lochies, la réponse à cela est que s’il est vrai que répudier sa femme durant la période de lochies de celle-ci est une chose illicite et une hérésie, il n’en reste pas moins que cette répudiation reste valide et que ce divorce est effectif selon la majorité des oulémas dont les imams des quatre grandes écoles jurisprudentielles et c’est également notre avis. Votre mariage avec votre second mari après la fin de votre période de viduité suite au divorce de votre premier mari est donc valide, faisant de vous sa femme et l’un de ses héritiers. Quant au fait que vous vous soyez remariée après sa mort, cela ne vous prive en rien de votre droit à hériter de lui, et aucun savant n’a jamais prononcé un tel avis.

Cinquièmement : la maladie dont on craint de mourir est selon le livre d’Ibn ‘Uthaymîn intitulé Charh-al-Mumti’ : La maladie dont on décède en général, c’est-à-dire la maladie dont on n’est pas étonné que l’homme qui en est atteint, en meure, on en dit également qu’il s’agit de la maladie dont on a de fortes raison de penser que l’on va en mourir. Quant à la maladie dont on ne craint pas de mourir, il s’agit de la maladie dont on décède rarement. On peut se référer pour plus de détails concernant la maladie dont on craint de mourir à l’Encyclopédie jurisprudentielle.

Si votre mari vous a épousée alors qu’il était déjà atteint d’une maladie dont il craignait de mourir, dans ce cas, il existe une divergence entre les oulémas concernant la validité du mariage du malade, mais la majorité d’entre eux est d’avis que ce mariage est valide et confirme les droits d’héritage. Ibn Qudâma a dit : Chapitre : le mariage en état de maladie et en état de bonne santé. Le statut du mariage en état de maladie et en état de bonne santé est le même du point de vue de la validité de l’acte de mariage et chacun des conjoints hérite de l’autre, selon l’avis de la majorité des oulémas. Tel est l’avis d’Abû Hanîfa et d’al-Châfi’î, qu'Allah soit satisfait d'eux. Quant à l’imam Mâlik, il a dit : "L’acte de mariage conclu alors que l’un des conjoints est atteint d’une maladie dont il craint de mourir n’est pas valide et les conjoints n’héritent pas mutuellement, sauf si le mariage est consommé, et dans ce cas, elle a droit à la dot qui avait été convenue, et ce, avant le partage de l’héritage si le mari venait à décéder …" (Al-Mughnî)

Sixièmement : le don fait durant une maladie dont on craint de mourir suit le même verdict que celui du testament. Ibn al-Mundhir a dit : Tous les oulémas dont j’ai connaissance de l’avis sont unanimes quant au fait que le verdict des dons durant la maladie dont le donateur finit par mourir suit le même verdict que celui du testament... Cela vaut aussi bien pour ce dont il vous a fait don que pour ce dont il a fait don à tout autre héritier. Tout cela suit le même verdict que le testament. Or, il est connu que le testament en faveur d’un héritier est interdit par la Charia et ne peut être exécuté qu’avec l’accord des autres héritiers. Ainsi, si ces derniers héritiers ne donnent pas leur accord, vous devez alors rendre ce que vous avez touché et le réinjecter dans l’héritage.

Septièmement : ce qu’il a dépensé pour traiter votre incapacité à avoir des enfants n’était pas de son devoir, c’est-à-dire qu’il n’en avait pas l’obligation. Dans ce cas, ces dépenses étaient soit une aumône ou un don en votre faveur. Or, nous avons mentionné plus haut que le cadeau fait durant une maladie dont on craint de mourir suit la même règle que celle du testament. Ainsi, que ces dépenses faites en votre faveur aient été faites avec l’intention d’être une aumône ou un don de sa part et qu’il les ait dépensées au début de votre mariage ou juste avant sa mort ne change rien au fait qu’elles suivent les même règles que celles du testament ; l’important étant que ces dépenses aient été faites durant sa maladie dont il pensait mourir. Il est alors obligatoire que vous remboursiez ces dépenses qu’il a faites pour vous, toujours en admettant qu’il était atteint d’une maladie dont on avait de bonnes raison de penser qu’il allait en mourir.

Enfin, étant donné qu’il y a conflit entre vous et tous les héritiers de votre mari ou une partie d'entre eux, il ne convient pas que vous vous contentiez de cette réponse et vous devez porter l’affaire devant un tribunal islamique s’il en existe ou vous tourner vers un ouléma compétent pour juger cette affaire afin qu’il entende toutes les parties concernées par ce conflit et non une seule partie. Le Prophète () a dit à ‘Alî :
O ‘Alî, si deux parties en litige comparaissent devant toi, ne juge pas entre elles jusqu’à ce que tu les entendes toutes les deux. Si tu agis de la sorte, tu pourras juger équitablement entre elles. (Ahmad, Abû Dâwûd)

Et Allah sait mieux.

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