Les formulations de l’interdiction
Fatwa No: 320827

Question

Nobles cheikhs, existe-t-il des règles générales et des formulations qui désignent clairement ce qui est religieusement interdit et quelles sont-elles ? En effet, le verset suivant dit : Ne dites pas, proférant un odieux mensonge : Ceci est licite et ceci est illicite , attribuant mensongèrement à Allah ces prescriptions. Ceux qui forgent des mensonges sur Allah sont voués à la perdition. (Coran 16/116). Et dans un hadith il est dit : Le licite est tout ce qu’Allah a déclaré licite dans son livre et l’illicite est tout ce qu’Allah a déclaré illicite dans son livre. Les faits au sujet desquels il ne s’est pas exprimé correspondent à ce qu’il a toléré. Or, les savants affirment que ce qui est religieusement interdit est tout ce qui correspond à une sévère menace. Pourtant, nous constatons que nos nobles savants déclarent que certaines choses sont interdites alors qu’aucun texte ne fait mention d’une sévère menace à leur sujet. C’est le cas pour se raser la barbe ou fumer de cigarettes. Les explications qu’ils avancent pour justifier leurs jugements sont par exemple, le hadith : On ne doit pas causer de tort à quiconque. ou la règle juridique : cela fait partie des mauvaises choses Or, il est bien connu que l’ail et l’oignon ne sont pas interdits et que le Prophète, Salla Allahou Alaihi wa Sallam, a dit : l’ail et l’oignon sont issus de deux arbres mauvais. De son côté, l’imam Malik disait : En délivrant des fatwas, les gens ne disaient pas : ceci est licite et ceci est illicite, mais ils disaient méfiez-vous de ceci et de cela. tout cela par scrupule, de crainte d’être concerné par le verset cité plus haut.
Répondez nous, qu’Allah vous récompense par un bien , en mentionnant les règles qui régissent le statut de l’interdiction dans le détail si possible.

Réponse

Louange à Allah et que la paix et la bénédiction soient sur Son Prophète et Messager, Mohammed, ainsi que sur sa famille et ses Compagnons :


La problématique qui ressort de la question est l’expression : Or, les savants affirment que ce qui est religieusement interdit est tout ce qui correspond à une sévère menace. Or, restreindre ce qui est interdit aux actes dont l’auteur est sujet à une menace dans un texte du Coran et de la Sunna, puis limité cette menace au fait qu’elle soit sévère ; nous ne connaissons aucun savant qui ait soutenu une telle affirmation ! Et pour corriger de tels propos, disons que toute menace de châtiment mentionné dans les Textes scripturaires permet de déduire que l’auteur de l’acte en question a commis un interdit. Pour autant, il n’est pas une condition que cette menace soit sévère. De même que tout ce qui est interdit n’est pas restreint à ce qui est l’objet d’une menace. En effet, de nombreuses formulations permettent de déduire qu’un acte est interdit. Ibn Al-Qayyim les a résumés dans son ouvrage Badâ’i’ al-Fawâ’id en disant :
On peut déduire qu’un acte est interdit dans les cas suivants : l’acte est défendu, il est clairement interdit, il est prohibé, une menace pèse sur qui le commet, qui le commet est blâmé, qui le commet doit obligatoirement l’expier. Quand est utilisé l’expression il ne convient pas : en effet, c’est le langage du Coran et du Prophète pour empêcher quelqu’un de faire quelque chose au regard de la raison et de la religion. L’expression : ils n’ont pas le droit de faire ceci ou ils n’avaient pas le droit de faire cela . Quand une peine est liée à un acte. Les termes : il n’est pas licite ; il n’est pas bon ; dire d’un acte qu’il est mauvais ou qu’il fait partie de ce que le diable a embelli ou que c’est un des actes du diable. Qu’Allah n’aime pas cet acte ou qu’il ne l’agrée pas pour Ses serviteurs. Qu’Allah ne purifie pas celui qui le commet, qu’il ne lui parlera pas ni ne le regardera. Et toute autre expression de ce genre. Fin de citation.
Dans son ouvrage Taysîr ‘Ilm Usûl Al-Fiqh, le Cheikh Abdullah Al-Juday’ a dit : Il est possible de déduire l’interdiction religieuse de nombreuses formulations. Elles sont employées dans les Textes scripturaires pour en désigner le statut. Parmi celles-ci :
-1 : L’interdiction explicite, comme dans le verset : [...] alors qu’Allah a autorisé le commerce et interdit l’usure. (Coran 2/275). Et dans ce hadith : Il est interdit à tout musulman de transgresser les droits de son frère : son sang, ses biens et son honneur. Rapporté par Mouslim.
-2 : Déclarer qu’un acte n’est pas licite, comme dans le verset : Si le mari la répudie une troisième fois, celle-ci ne lui est plus licite à moins qu’elle ne contracte et consomme un mariage avec un autre homme. (Coran 2/230). Et dans ce hadith : Il n’est pas licite qu’un musulman délaisse son frère plus de trois jours. Rapporté par Boukhari et Mouslim.
-3 : Les formulations où il est défendu de faire une chose. Elles sont de différents types qui reviennent pour la plupart aux suivantes :
[1] L’expression : il est défendu, employée de façon explicite, comme dans le verset : Il a défendu tout acte infâme, tout comportement répréhensible et toute forme d’injustice. (Coran 16/90). Et dans ce hadith où le Prophète, , avait donné un servant à ‘Alî et lui dit : Ne le tape pas car il m’a été défendu de taper quiconque accomplit la prière. Et je le vois prier depuis que nous sommes arrives. Rapporté par Boukhari dans Al-Adab al-Mufrad numéro 163 avec une bonne chaîne de transmission. On doit inclure dans cette catégorie tous les propos des Compagnons sous la formulation suivante : Le Prophète, , nous a défendu de faire telle chose.
[2] La formulation où est employée le verbe réprimander comme dans le hadith de Abu Al-Zubayr qui a dit : J’ai interrogé Jâbir au sujet du prix du chien et du chat. Il m’a répondu : Le Prophète, , l’a réprimandé. Rapporté par Mouslim.
[3] La formulation où il est demandé de cesser de faire quelque chose ou de s’en abstenir, comme dans le verset où en s’adressant aux chrétiens il est dit : Cessez de parler de trinité, cela est bien mieux pour vous. (Coran 4/171). Ou dans le hadith où il est dit : Le diable se présente à l’un de vous et lui suggérer : qui a créé ceci et cela, jusqu’à lui dire : et qui a créé Allah ? Aussi, si cela arrive à l’un d’entre vous qu’il cherche refuge auprès d’Allah et cesse de prêter attention à ces insufflations. Rapporté par Boukhari et Mouslim.
[4] La formulation employant la forme négative comme dans ce verset : N’approchez pas la fornication. (Coran 17/32). Ou dans le hadith où il est dit : Ne faites pas de surenchères. Rapporté par Boukhari et Mouslim.
[5] La formulation : il ne convient pas. Comme dans le hadith au sujet de la soie où il est dit : Il ne convient pas aux vertueux de le porter. Rapporté par Boukhari et Mouslim.
[6] La formulation dans laquelle il est intimé l’ordre de délaisser un acte sans pour autant que l’interdiction soit exprimée dans des termes explicites, comme dans ce verset : Sachez que les boissons alcoolisées, les jeux de hasard, les sacrifices païens et les flèches divinatoires ne sont qu’une infamie inspirée par Satan. Fuyez-les donc afin de faire votre bonheur et votre salut. (Coran 5/90). Et dans celui-ci : Ils t’interrogent au sujet du sang des menstrues. Dis : Il peut être préjudiciable. Evitez donc tout rapport conjugal pendant les menstruations. (Coran 2/222). Ou dans le hadith où il a dit : Fuyez les sept péchés qui mènent à la perdition. Les Compagnons dirent : Quels sont-ils, Messager d’Allah ? Il répondit : L’idolâtrie, la sorcellerie, le meurtre injustifié, l’usure, la spoliation de l’orphelin, la fuite du champ de bataille et la diffamation des croyantes chastes et innocents. Rapporté par Boukhari et Mouslim.
-4 : Quand un châtiment ou la menace d’une punition en ce monde ou dans l’au-delà est corrélé à un acte alors cela signifie qu’il est interdit. Ces formulations peuvent prendre plusieurs formes, parmi lesquelles :
[1] Une peine légale, comme dans ce verset : Au voleur et à la voleuse, vous couperez la main. (Coran 5/38). Et dans celui-ci : Infligez cent coups de fouet à quiconque, homme ou femme, se livre à la fornication. (Coran 24/2).
[2] La menace d’un châtiment, comme dans ce verset : Vous qui croyez ! Craignez Allah et renoncez, si vraiment vous avez la foi, à ce qui vous reste du produit de l’usure. Dans le cas contraire, soyez certains qu’Allah et Son Messager vous feront la guerre. (Coran 2/278-279). Ou dans le hadith où il est dit : Que les gens cessent de rater la prière du vendredi de peur qu´Allah ne scelle leur cœur et qu´ils ne soient du nombre des inconscients. Rapporté par Mouslim. Et dans le hadith où il est dit : Quiconque trahit sera démasqué le Jour de la résurrection au moyen d’un étendard par lequel on le reconnaitra. Rapporté par Boukhari et Mouslim. Ce sera une véritable honte le jour où les œuvres seront exposées.
[3] Lorsque la malédiction est corrélée à un acte. C’est un type de punition. Ceci est présent dans de nombreux textes du Coran et de la Sunna.
-5 : Désigner un acte comme étant un péché et, notamment, le qualifier de péché majeur, comme dans le hadith où il est dit : Il n’y a pas un péché pour lequel Allah précipite davantage un châtiment en ce monde pour qui le commet sans compter ce qu’il lui réserve dans l’au-delà que la transgression des droits d’autrui et la rupture des liens du sang. Hadith authentique rapporté par Abû Dâwûd et d’autres. Et selon Anas, qu’Allah soit satisfait de lui : le Prophète, , a été interrogé au sujet des péchés les plus graves et il dit : Donner des associés à Allah, provoquer la colère des parents, le meurtre et le faux serment. Rapporté par Boukhari et Mouslim.
-6 : Qualifier un acte de transgression, d’injustice, de nuisance, de désobéissance ou autre formulation similaire. Ceci, comme dans le hadith de Abdullah ibn ‘Amr, qu’Allah soit satisfait de lui, qui a dit : Un bédouin s’est présenté devant le Prophète, , pour l’interroger sur les ablutions. Il lui a donc montré comment les accomplir en se lavant chaque membre à trois reprises. Puis il dit : C’est ainsi qu’on doit accomplir les ablutions. Celui qui en fait plus a mal agi. Il a dépassé les limites et commis une injustice. [Hadith bon rapporté par Nasâ’î et d’autres]. Citons aussi ce verset : Leur porter préjudice constituerait une grave désobéissance. (Coran 2/282).
-7 : Une formulation qui établit une ressemblance entre l’auteur d’un acte et un animal, des diables, des mécréants, des damnés dans l’au-delà ou autre. Ceci, comme dans ce hadith : Il ne nous est pas permis d’être comparé à quelque chose de mauvais. Celui qui revient sur une aumône est à l’image du chien qui vomit, puis retourne à sa vomissure pour la manger. Rapporté par Boukhari et Mouslim. Et dans ce verset : Les gens qui gaspillent sont les frères des demons. (Coran 17 ;27). Et dans ce verset : Quiconque, parmi vous, déciderait de s’allier à eux deviendrait l’un des leurs. (Coran 5/51). Et dans ce hadith : Seuls ceux qui n’auront aucune part aux délices de l’au-delà portent de la soie ici-bas. Rapporté par Boukhari et Mouslim.
-8 : Désigner un acte par un nom qui désigne généralement une chose interdite. Par exemple, dire d’un acte que c’est de la fornication ou du vol ou du polythéisme ou autre. C’est le cas dans ce hadith : A chaque homme est destinée une part de fornication qu’il commettra obligatoirement : la fornication des yeux se trouve dans le regard, celle de la langue dans les paroles ... Rapporté par Boukhari et Mouslim.
C’est le cas dans ce hadith : Le pire des voleurs est celui qui vole sa prière. Messager d’Allah, comment un homme peut-il volé sa prière ? En n’accomplissant pas complétement ses inclinaisons et ses prosternations. Hadith authentique. Rapporté par Al-Dârimî, Ahmad et d’autres.
C’est le cas dans ce hadith : Quiconque jure par un autre qu’Allah est tombé dans le polythéisme. Hadith authentique. Rapporté par Abû Dâwûd, Tirmidhî et d’autres.
Fin de citation.
Concernant le scrupule de certains imams à prononcer l’interdiction d’une chose en des termes explicites, c’est un fait qui est connu et tout à fait louable. En revanche, cela ne signifie pas que les choses en question soient permises. L’attitude qu’il convient d’adopter dans ce cas est de considérer leur propos et de les comprendre en fonction de la terminologie qui était la leur et non la nôtre ! C’est une grave erreur de se référer à leur scrupule qui les conduisait à s’abstenir de qualifier une chose d’interdite pour la considérer comme permise alors qu’eux l’ont blâmée, dénigrée, ont défendu de s’en rendre coupable et ont mis en garde contre cette chose.
D’ailleurs, dans son ouvrage I’lâm al-Muwaqqi’în, Ibn Al-Qayyim a mentionné de nombreux exemples de choses interdites que les imams – comme Abû Hanifa, Malik, Shâfi’î et Ahmad - avaient qualifié par les termes de réprimandable ou détestables (karâha). Puis, il dit :
Les prédécesseurs employaient le terme de Karâha (réprimandable ou détestable) dans le même sens que celui qui était voulu dans les textes du Coran et de la Sunna. Ce sont les savants des générations postérieures qui ont donné à ce terme un autre sens, pour désigner spécifiquement ce qui n’est pas interdit ou ce qu’il convient de délaisser plutôt que de faire. Par la suite, certains de ces savants ont compris les propos des premiers imams selon le nouveau sens et ont ainsi commis des erreurs de compréhension et de jugements. La plus vilaine de ces erreurs est celle de qui comprend le terme de Karâha (réprimandable ou détestable) ou le terme il ne convient pas employé dans le Coran et la Sunna selon la signification correspondant à la terminologie des savants des dernières générations. Or, l’expression il ne convient pas est citée dans le Coran et la Sunna pour désigner ce qui est interdit conformément à la loi divine et au décret d’Allah. Et aussi pour désigner ce qui est impossible et ne peut se produire, comme dans le verset : Or, il ne convient pas au Tout Miséricordieux de se donner un enfant. (Coran 19/92) ... Fin de citation.
Concernant les propos de l’auteur de la question : Pourtant, nous constatons que nos nobles savants déclarent que certaines choses sont interdites alors qu’aucun texte ne fait mention d’une sévère menace à leur sujet. Nous disons :
Plutôt que d’avoir des suspicions à l’endroit des savants, il eût été préférable d’avouer avoir une compréhension insuffisante des préceptes de la religion ou d’en avoir négligé l’apprentissage. Ce que nous avons mentionné est suffisant pour que le frère en question puisse revenir aux textes à partir desquels il est possible de déduire ce que la religion interdit. Les interdits religieux vont bien au-delà des seuls textes qui menacent d’un châtiment l’auteur d’un acte.
Pour ce qui est de la barbe, le Prophète, , a intimé l’ordre de la laisser pousser. Plus encore, il est même dit en des termes explicites que l’ordre en question émane du seigneur, comme cela est rapporté dans ce hadith : Mon seigneur m’a intimé l’ordre de laisser pousser ma barbe.
Quant à se référer au fait que la cigarette fasse partie des mauvaises choses pour en déclarer le caractère interdit, c’est un procédé des plus évidents puisque c’est le texte même du Coran qui stipule que cette législation, qui est la dernière de toutes celles révélées, interdit les mauvaises choses. Allah dit : Il leur autorise tout ce qui est bon et leur interdit tout ce qui est mauvais. (Coran 7/157).
Par ailleurs, il n’y a aucun problème à ce que l’ail et l’oignon soient qualifiées d’arbres mauvais parce que le sens voulu ici est uniquement l’odeur qu’ils dégagent de façon momentanée sachant qu’ils ne causent aucune nuisance. Au contraire, il est clairement établi qu’ils contiennent de grands bienfaits nutritifs et pour la santé.


Et Allah sait mieux.
 

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