Gaza et les Réunionnais
Gaza n’est plus sous les feux de l’actualité. Pour autant, nous ne devons pas oublier que de très nombreux civils ont été tués récemment par une armée coupable, en plus d’avoir utilisé des armes interdites par les conventions internationales. Il ne faut pas oublier, non plus, que sur le fond, rien n’est réglé : en Cisjordanie, ou à Gaza, les Palestiniens continuent de vivre dans des conditions inhumaines, sans espoir et sans avenir. Après les élections israéliennes, la formation probable d’un gouvernement, alliant la droite et l’extrême droite autour de Netanyaou, ne va pas dans le sens d’une résolution de ce conflit qui dure depuis 60 ans. C’est lui le politicien qui, au pouvoir entre 96 et 99, avait torpillé les accords de paix d’Oslo avec les Palestiniens, en relançant massivement la colonisation dans les territoires occupés.
Je ne suis ni arabe, ni musulman, mais je trouve tout simplement insupportable l’injustice dont sont victimes les Palestiniens depuis des décennies. Pour comprendre la situation d’aujourd’hui, il faut revenir un peu plus de 60 ans en arrière. Il y a, à l’origine de la création de l’État d’Israël, une double imposture. La première, c’est d’avoir voulu réparer les siècles d’antisémitisme européen sur le dos des Palestiniens. C’était un peu facile pour les Occidentaux de se défausser de ce grave problème qui a gangrené l’Europe, du Moyen-Age à l’Holocauste dans les camps nazis, sur le dos du peuple arabe de Palestine. La deuxième imposture, c’est de prétendre que cette région appartient aux Juifs. Avec un tel raisonnement, il faudrait rendre l’ensemble des Amériques aux Indiens et l’Australie aux Aborigènes... Et compte tenu du caractère plus récent des événements historiques correspondants, le raisonnement serait davantage fondé. Mais en plus, cela relève d’une erreur historique flagrante. Parmi les descendants des Juifs qui occupaient la Palestine au temps du Christ, il y a beaucoup d’Arabes, convertis depuis cette époque au christianisme ou à l’islam et qui sont les Palestiniens d’aujourd’hui. Alors, dire comme certains extrémistes israéliens que la Bible tient lieu de titre de propriété et que cela autorise donc tous les accaparements de territoires ne relève pas du droit, mais du fanatisme religieux.
Comment, en 1947-48, la Communauté internationale a-t-elle pu laisser faire et même préconiser une telle politique ? La réponse est simple : à cause de la culpabilité de l’Occident, mais aussi de l’URSS, après les massacres des Juifs dans les camps de concentration. On peut donc comprendre, en se replaçant dans le contexte de l’époque, pourquoi l’État d’Israël a été créé, mais cela ne peut pas, indéfiniment, justifier n’importe quelle politique israélienne. Alors, que faire aujourd’hui ? Comment mettre fin au conflit et réaliser la paix dans la région ? Dans un livre publié aux Etats-Unis en 2007, deux politologues américains, John Mearsheimer et Stephen Walt, explorent les évolutions possibles de la situation. (“Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine”, traduction française, La Découverte/poche, 2009). Ils ne voient que quatre directions :
1- Israël se retire des territoires occupés depuis 1967 en échange d’une paix durable et de la création d’un État palestinien viable. C’est la solution à deux états.
2- Israël chasse les Palestiniens des terres qu’ils occupaient avant 1967 et des territoires occupés par une politique de nettoyage ethnique pour réaliser le “Grand Israël”.
3. Au lieu de deux États séparés, est créé, sur le territoire de l’ancienne Palestine, un État binational dans lequel les deux peuples, palestinien et israélien, jouiraient des mêmes droits politiques.
4. Israël continue d’exercer son contrôle sur les territoires palestiniens, en accordant une autonomie limitée à des mini-États sans continuité territoriale, des sortes de bantoustans comme dans l’Afrique du Sud de l’apartheid.
Pour le laïc que je suis, c’est la solution 3 qui aurait ma préférence, mais je suis conscient qu’elle n’est pas réaliste aujourd’hui. Basées sur une vision raciste et inégalitaire, les solutions 2 et 4 sont moralement totalement inacceptables. Mais en plus, elles ne mettraient pas fin au conflit et à la violence en donnant encore plus de poids aux extrémistes, par les injustices et les frustrations qu’elles continueraient d’entretenir. Il n’y a donc que la solution à deux États qui puisse mettre fin au sang et aux larmes dans cette région.
Mais il y a un gros “hic” : les choix d’Israël que ses citoyens viennent de confirmer par leur vote. Certes, Israël est bien une démocratie qui a le droit de faire ses choix en matière sociale, économique, culturelle etc... dans son propre pays. Mais à Gaza ou en Cisjordanie, il s’agit de toute autre chose. Dans la plus pure tradition coloniale, Israël impose à un autre peuple, sur un territoire qui n’est pas le sien, des choix qui nient les droits des Palestiniens à être libres et des citoyens à part entière. Et les Réunionnais, qui ont dans leur histoire l’esclavage et la colonisation, sont bien placés pour comprendre que ce n’est pas acceptable.
Comme je l’ai rappelé au début, la création de l’État d’Israël ne s’est pas faite sur des terres vierges, mais bien au détriment d’un peuple existant et avec son cortège d’injustices et de violence : terreur pour inciter au départ, expulsions massives, destructions de villages arabes etc... On peut donc bien comprendre pourquoi les Palestiniens ne l’ont pas facilement accepté. Comment aujourd’hui sortir de ce conflit perpétuel ? Les accords d’Oslo signés de 1993 entre Rabin et Arafat ouvraient une vraie perspective de paix. Mais l’assassinat de Rabin par un extrémiste juif en 95, le retour de la droite israélienne au pouvoir en 96 et la poursuite de la colonisation de la Cisjordanie ont mis fin au processus d’Oslo. Or, il faut être clair : la démocratie d’Israël ne peut s’exercer qu’à l’intérieur de ses frontières reconnues internationalement. Israël ne peut pas décider pour les Palestiniens, pas plus que ce n’était aux seuls blancs d’Afrique du Sud du temps de l’apartheid de décider pour l’ensemble des habitants du pays. Puisqu’Israël poursuit une politique de fait accompli et ne respecte pas les résolutions de l’ONU, c’est à la communauté internationale d’imposer une solution qui garantisse, certes, la sécurité d’Israël, mais aussi les droits des Palestiniens. Signalons qu’Israël pratique une politique, aujourd’hui révolue, qui ressemble de plus en plus à du colonialisme classique : accaparement des meilleures terres dans la vallée du Jourdain, pillage des ressources en eau, etc... loin du projet sioniste avancé au départ. Et il faut en finir avec le mythe du risque de destruction de l’État d’Israël entretenu pour justifier sa politique expansionniste. D’après les experts militaires, Israël dispose, en plus de l’armée conventionnelle la plus puissante de la région, d’environ 200 têtes nucléaires. Largement de quoi dissuader ceux qui voudraient le détruire.
Si l’on considère qu’Israël ne peut pas décider “démocratiquement” de continuer de bafouer les droits des Palestiniens, c’est donc à l’ONU d’imposer la solution à deux états. Pour y parvenir, il faut mettre en œuvre toutes les pressions internationales possibles à l’encontre de l’État hébreu pour arriver au démantèlement des colonies, à l’arrêt du bouclage et de l’occupation et à la création, à côté d’Israël, d’un état palestinien viable, disposant des mêmes droits et des mêmes prérogatives que tous les autres membres des Nations Unies. Compte tenu du rôle déterminant joué par les Etats-Unis dans la région et en particulier vis-à-vis d’Israël, espérons que Barak Obama comprendra rapidement que c’est une des clés de l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient. Et il existe aussi des pressions économiques, certes modestes, à la portée de La Réunion : arrêter d’importer des mandarines et autres fruits d’Israël... tant que ce pays ne respectera pas le droit international.
Gérard M.,
Le Tampon