Le journaliste autrichien Léopold Weiss est né en 1900 dans la ville de Lviv qui était alors autrichienne mais qui se trouve aujourd’hui en Ukraine. C’est donc en 1921 qu’il débuta sa carrière de journaliste en tant que rédacteur au sein du principal quotidien de langue allemande de l’époque le Frankfurter Zeitung. Toutefois, l’année suivante il choisit de quitter son pays afin d’effectuer divers périples en Orient et notamment en Palestine où vivait un oncle à lui ; il continua malgré tout son travail de journaliste en rédigeant des articles qu’il envoyait aux principaux journaux européens de l’époque, il devint même suite à cela l’un des journalistes européens les plus lus, les plus lucides, les plus indépendants et les plus attachés à apprendre encore et encore à travers les voyages.
Il est important de rappeler que le grand-père de Léopold Weiss avait été grand rabbin d’Autriche, d’ailleurs sa famille, qui était juive depuis de nombreuses générations, accédait à cette fonction prestigieuse de père en fils. Notons que dès l’âge de treize ans Léopold Weiss pouvait lire l’hébreu et le parler couramment, de plus il apprit la langue araméenne, puis la langue arabe, et il étudia l’Ancien Testament dans le texte. Evidemment, en tant que Juif issu d’une famille religieuse, il maîtrisa rapidement le Talmud et ses explications ainsi que les différences entre le Talmud de Babylone et celui de Jérusalem, et il étudia en outre les complexités de l’exégèse biblique appelée le Targum ainsi que les textes préparant à la fonction de grand rabbin d’Autriche.
Notons que lors de son premier voyage en Orient, sa vision de l’Islam était celle de n’importe quel européen de son époque, et cette vision, qui a été inculquée à des générations d’Occidentaux, avait pour fondement l’idée que l’Islam et ses enseignements n’étaient pas dignes de respect, et ce, ni du point de vue spirituel ni de celui du comportement.
Le récit de la conversion à l’Islam de Léopold Weiss :
En fait, lors de son voyage en Orient, Léopold Weiss fut surpris par le fossé immense existant entre le niveau de grandeur et de civilisation atteint par les premiers musulmans et la situation de leurs descendants. Malgré cela il ne décela rien dans l’Islam qui s’opposerait à la recherche du savoir, qui étoufferait les énergies ou bien qui éteindrait l’étincelle de l’espoir et de l’esprit combatif présent dans toutes les âmes des adeptes de cette religion ; bien au contraire, il découvrit que l’Islam appelait à se libérer et à s’employer à faire toutes les causes pour avancer et atteindre la réussite, s’opposant ainsi, à toute forme de confiance en Allah passive, de résignation ou de soumission servile.
Mais Léopold Weiss ne tarda pas à découvrir la cause réelle qui est à l’origine de la décadence et de l’arriération des musulmans, et cette cause n’est autre que l’ignorance de ces derniers à l’égard des règles de leur propre religion ainsi que le fait qu’ils ne les maîtrisent pas et ne s’y accrochent pas. C’est là la logique contraire à celle diffusée par les ennemis de l’Islam qui prétendent que c’est l’arriération des musulmans qui est due à leur attachement trop fort à leur religion. Et à ce propos voici ce qu’a pu déclarer Léopold Weiss : « Chaque fois que j’avançais un peu plus dans ma compréhension des enseignements de l’Islam du point de vue de leur essence et de celui de leur haute valeur scientifique, je voyais augmenter mon désir de comprendre ce qui avait poussé les musulmans à s’écarter de l’application complète et rigoureuse de ces enseignements dans leur vie quotidienne. J’ai débattu de ce problème avec de nombreux musulmans dans la plupart des pays qui se trouvent entre Tripoli à l’ouest et le massif du Pamir en Inde, et du Bosphore jusqu’au golfe Arabique, ce sujet était devenu pour moi un objet d’angoisse et de tristesse qui à la fin prit le dessus sur tous les aspects de mon intérêt culturel pour le monde islamique, puis mon désir de comprendre augmenta encore beaucoup au point que j’ai commencé, alors que je n’étais pas moi-même musulman, à parler aux musulmans avec une certaine compassion pour l’Islam à cause de la négligence et du renoncement de la plupart de ses adeptes ».
Puis Léopold Weiss eut l’occasion de discuter de cette question avec un jeune fonctionnaire afghan, ce dernier réussit à attiser en lui un désir profond de connaître vraiment l’Islam, de comprendre un peu plus ses enseignements ainsi que de croire en sa perfection, sa grandeur et sa capacité à rendre heureux l’humanité et à régler ses problèmes, et c’est ainsi que le jeune homme lui dit : « Tu as toujours le même jugement alors qu’en réalité tu es musulman mais tu ne le sais pas encore ». Ces mots eurent un fort impact sur l’esprit de Léopold Weiss, ce dernier resta donc muet tout en méditant sur les parole qu’il venait d’entendre et acquit la conviction qu’elles étaient justes, c’est ainsi qu’à cet instant il se convertit en son for intérieur, c’est en tout cas ce qu’il ressentit au plus profond de lui-même, puis il ne tarda pas à exprimer ouvertement et pratiquement ce en quoi il croyait.
Ainsi, Léopold Weiss rentra en Europe en 1938 où il déclara publiquement qu’il s’était converti à l’Islam et se choisit pour nom musulman Muhammad Asad. Il évoqua en toute sincérité les causes de sa conversion dans son livre L’Islam à la croisée des chemins, il dit par exemple dans cet ouvrage la chose suivante : « Il n’y a pas parmi les préceptes de l’Islam un précepte qui m’a plus particulièrement attiré, en fait je fus séduit par sa structure globale étonnante et dense que je ne peux considérer comme étant seulement des préceptes moraux ou un mode de vie éthique, il me paraît plutôt que l’Islam est donc un système parfait dont les parties se complètent et se renforcent mutuellement, il n’y a rien d’inutile ni aucune carence ou lacune, cela produit une forme d’harmonie équilibrée et solidement structurée, c’est cela, je crois, qui m’a indéniablement le plus marqué et influencé ».
Les contributions de Léopold Weiss :
Léopold Weiss approfondit tellement son savoir dans le domaine des sciences islamiques qu’il fut choisi lors de la création de l’Etat pakistanais en tant que directeur de l’administration chargée de la rénovation de la religion dans le district ouest du Pendjab, puis il devint représentant du Pakistan auprès des Nations Unies.
Tout son génie put s’exprimer à travers ses divers écrits dans lesquels il parlait aux musulmans des réalités dangereuses des religions précédentes ou de la philosophie sur laquelle est fondée la vision du monde de l’Occident laïc ; en fait, à l’époque, quasiment personne n’osait évoquer ouvertement ce type de sujets. Weiss voulait par là stimuler les énergies des musulmans, réveiller la Oumma du sommeil de l’ignorance et de la négligence dans lequel elle était plongée, dissiper le nuage noir du pessimisme assombrissant le ciel de la communauté musulmane, faire revenir sa grandeur et le haut niveau civilisationnel qui était le sien autrefois ou bien encore arriver à ce que les musulmans retrouvent la force spirituelle qui était la leur ainsi que leur culture et civilisation authentiques. Ce but louable recherché par le philosophe Muhammad Asad peut être résumé dans l’une de ses formules : « Les musulmans doivent absolument renouer avec un attachement authentique à leur religion, et cet objectif est clairement confirmé par l’aphorisme prophétique suivant : les dernières générations de cette communauté ne pourront devenir bonnes qu’en suivant ce qui a permis aux premières générations de l’être ». Puis Muhammad Asad donne la preuve de ce qu’il avance : « Cette religion qui a pu amener des Arabes divisés à s’unir pendant plus de treize siècles et à faire d’eux une puissance qui a dominé l’essentiel du monde connu grâce à sa haute civilisation, sa culture et sa tolérance est parfaitement capable aujourd’hui d’apporter aux musulmans ce qu’elle leur a apporté par le passé. C’est ainsi que l’Islam a apporté une constitution afin d’organiser la vie qui n’a aucun équivalent parmi les autres systèmes religieux, moraux et sociaux, lesquels systèmes ont, depuis l’aube de l’histoire, étaient l’objet des modifications et réajustements des êtres humains. Il est clair que l’Islam n’est pas la religion d’un peuple en particulier ou l’apanage d’une région du monde de même qu’il est tout à fait intemporel, il est bien au contraire l’unique et seule religion céleste qui peut être appliquée et s’adapter dans tous les lieux et à toutes les époques de même que seul l’Islam peut rendre heureuse l’humanité dans son ensemble ».
C’est avec ces paroles de Muhammad Asad emplies de sagesse et de profondeur que nous concluons cet article. Et nous ne pouvons qu’inciter nos lecteurs à en apprendre un peu plus sur cet homme issu du judaïsme ashkénaze et devenu un musulman d’une qualité exceptionnelle en lisant son plus grand livre qui n’est autre que le célèbre Le chemin de La Mecque parut en 1954.