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Le combat de Nûr al-dîn Zankî contre les Croisés

Le combat de Nûr al-dîn Zankî contre les Croisés

La fusion du djihad et de l'orthodoxie sunnite initiée par Nûr al-dîn Zankî, grand tenant du combat contre les Croisés au XIIe siècle, constitue la pierre angulaire de la réaction musulmane qui aboutit à la reprise d'al-Quds (Jérusalem) par les musulmans, puis à la reconquête de tous les territoires de Syrie-Palestine.
Avant tout, rappelons que l’orthodoxie sunnite apparut sous les Abbassides dans la première décennie du VIIIe siècle, c’est-à-dire dans une période durant laquelle une multitude de sectes musulmanes se développèrent, chacune d’entre elles prétendant détenir la Vérité. Au nombre de ces sectes nous pouvons citer les plus importantes telles que les mou’tazilites (influencés par la logique des philosophes grecques), les khawârig (prônant l’insurrection contre les gouvernants qui ne défendaient pas leurs vues) ou encore les chiites (partisans inconditionnels des descendants du calife ‘Alî ibn Abî Taleb).
Les sunnites (orthodoxes), s’appuyant sur une lecture stricte du Coran et de la Tradition prophétique, s’opposèrent à ces différents groupes considérés par eux comme des innovateurs. Par ailleurs, le sunnisme rejetait toutes formes de rebellions, ainsi soucieux de paix communautaire, il s’opposait au légitimisme des chiites et au particularisme insurrectionnel des khawârig. Ce mouvement connut des hauts et des bas, par exemple au IXe siècle le calife Al-Ma’mûn fit du mou’tazilisme la doctrine officielle, et donc il combattit sévèrement les orthodoxes sunnites qui s’opposaient à ce courant sur certains points du dogme. Plus tard, en 945, les Bouyides chiites s’emparèrent de Bagdad et naturellement diffusèrent le chiisme, mais une partie de la population iraquienne restait opposée idéologiquement et politiquement aux Bouyides, et donc des affrontements entre chiites et sunnites se multiplièrent. En 1013, les désordres atteignirent une telle violence que cette année fut nommée l’année de la fitna, elle est considérée comme marquant le début du grand mouvement de restauration sunnite que jalonnent, en 1055 l’arrivée des Seldjoukides à Bagdad, et en 1171, le rétablissement de la khutba abbasside en Égypte.
Ainsi, le califat abbasside sunnite recouvra son pouvoir et ordonna aux Seldjoukides de combattre l’anticalifat ismaélien fatimide d’Égypte. Les Seldjoukides prirent donc la Syrie aux Byzantins en leur donnant un coup fatal lors de la bataille de Manzikert (1071). On peut donc affirmer que le renouveau de l’orthodoxie sunnite prit racine en Syrie trente ans avant l’arrivée des Croisés et près d’un siècle avant le grand mouvement pro-djihad de Nûr al-dîn.

L’idée de fusionner ce renouveau du sunnisme et le djihad est peut-être l’innovation de Nûr al-dîn la plus révolutionnaire. S’il a réussi à gagner l’appui d’une grande partie des hommes de religion, c’est sans doute grâce à cette fusion. Rappelons que depuis des siècles, les religieux ne s’intéressaient que modérément au djihad. L’intérêt principal de ces derniers était avant tout la lutte contre les hétérodoxies et l’extension de l’influence de l’orthodoxie sunnite sur les princes et les peuples. En conséquence, pour intéresser les hommes de religion, dont le rôle sera essentiel dans le mouvement anti-franc, il fallait établir un lien entre le combat contre les mécréants du dehors, mené par le djihad, et le combat contre les hérétiques de l’intérieur, mené par l’orthodoxie. Si apparemment réaliser cette équation était simple, il ne fut pas aisé de convaincre des sunnites ardents du bien-fondé de cette campagne. Il fallut donc l’activité orthodoxe systématique de Nûr al-dîn, pénétré par ailleurs de l’idée du djihad, pour forger une alliance stable entre deux idéaux. Son image de protagoniste des deux conceptions donnera à la formule théorique une puissance convaincante.

L’activité orthodoxe de Nûr al-dîn se caractérisa par : une vie personnelle en accord avec les préceptes dictés par le Coran et la Sunna, la suppression des hétérodoxies (notamment du chiisme et de l’ismaélisme), la lutte contre les infractions à la Loi islamique, les protections des fuqahâ ou la construction de multiples madrasas dans lesquelles était enseigné le fiqh des quatre écoles juridiques de l’Islam.
Nûr al-dîn avait une vie personnelle consacrée à l’adoration loin des excès et du luxe. Selon le chroniqueur Abû Châma : « Il prenait des caisses de l’État juste de quoi se nourrir et s’habiller [...] Il ne portait jamais ce que la Loi interdit, tel que la soie ou l’or. Il ne buvait pas de vin et en avait empêché la vente dans tout le pays [...] Ses prières duraient longtemps et il priait la nuit ». L'ascétisme de Nûr al-dîn aida beaucoup à convaincre les milieux religieux qu’une pratique stricte de l’orthodoxie sunnite s’harmonisait parfaitement avec la guerre sainte.
De même, afin d’imposer l’orthodoxie dans la société syrienne, Nûr al-dîn veilla à supprimer les hétérodoxies influentes, notamment le chiisme. Dès 1147, le Zankide interdit aux chiites d’Alep les manifestations extérieures de leur culte, puis en 1149 ils sont privés de toute liberté. Cependant, Nûr al-dîn eut fort à faire avec les partisans d’une secte ismaélienne extrémiste connus sous le nom de Nusayris ou Assassins. Ces derniers, violemment anti-orthodoxe, pratiquaient le meurtre politique contre des dirigeants qui s’opposaient à eux. Nûr al-dîn les considérait comme un obstacle sérieux à l’unité et au djihad, en effet, non seulement ils assassinaient des chefs musulmans, mais ils fournirent une aide précieuse aux Croisés. Le titre de « subjugueur des hérétiques », qu’endossa Nûr al-dîn, fut largement confirmé par ses années de guerre contre l’Égypte qui aboutirent à la suppression du califat ismaélien.

Parallèlement à ce combat contre les hérétiques, Nûr al-dîn fit preuve d’une grande sévérité envers les déviations de l’orthodoxie et les infractions à la Loi islamique. À propos des innovations dans la religion, Abû Châma rapporte une parole de Nûr al-dîn : « Nous protégeons les routes des voleurs et nous ne protégerions pas la religion de ce qui la contredit alors qu’elle est la base de toute chose ». Le chroniqueur raconte : « Une fois un homme connu pour son ascétisme et le grand nombre de ses adeptes versa dans l’anthropomorphisme, Nûr al-dîn en fut informé, il le fit venir et le fit monter sur un âne et a ordonné à ce qu’on tape des mains sur son passage : voici la récompense pour qui innovait dans la religion ». La vente et l’usage de vin, les spectacles de chant et de danse furent interdits et rigoureusement punis. De même que les impôts non-canoniques (mukûs) furent abolis par étapes.

Enfin, l’émir Zankide consolida la fusion orthodoxie-djihad en rapprochant près de lui les hommes de religion : « Il les respectait beaucoup, les rapprochait de lui et montrait de l’humilité devant eux ». Non seulement Nûr al-dîn s’entourait de ces derniers pour manifester sa piété, mais il les faisait participer à ses décisions politiques : « Il faisait venir des jurisconsultes (fuqahâ) pour leur demander leur avis sur des problèmes donnés, et souvent il prenait ces avis comme une solution à ces problèmes ». Leurs demandes et reproches, auxquels ils étaient très sensibles, influençaient grandement ses démarches et dispositions.

Nous avons vu que Nûr al-dîn déploya de grands efforts afin que l’idée du djihad et l’orthodoxie sunnite ne fassent qu’un. Cette fusion est le fait de convictions religieuses sincères et d’un réalisme politique habile, il ne fait aucun doute que Nûr al-dîn visait par la restauration du sunnisme un retour aux origines de l’Islam durant lesquelles religion originelle, c’est-à-dire dépourvue de toutes innovations blâmables, et djihad conquérant étaient indissociables. Rappelons-nous les paroles de Marçais : « L’Islam a trouvé la guerre à son berceau. Il a dû combattre dès son origine [...] ceci a pesé d’un poids singulièrement lourd sur sa destinée ». L’idée du djihad mit du temps avant de devenir un grand mouvement qui dans la réalité porta des coups décisifs aux Croisés. Ce mouvement est sans conteste imprégné d’une forte religiosité, et ce, dès ses débuts ; en effet, les premières prises de conscience sont le fait des milieux piétistes. Puis, grâce à une pression de plus en plus populaire et au danger grandissant, les souverains musulmans s’emparèrent de l’idée du djihad. Si Zankî, bien qu’il se revendiquât du djihad, ne cacha pas ses ambitions personnelles, il fallut attendre l’avènement de Nûr al-dîn pour voir cette idée de guerre sainte parfaitement intégrée à la politique du souverain. L’homme d’État n’a pas le cynisme politique de son père, il semble décidé à mener sincèrement le combat contre les Francs au nom du djihad. Toutefois, il a compris que religion et réalité politico-militaire sont inextricablement liées. Les intérêts religieux supérieurs doivent briser les guerres intestines qui déchirent les émirs, ainsi Nûr al-dîn unifie les musulmans et redonne au djihad sa nature offensive des origines, et donc le Zankide lance un mouvement de reconquête que parachèveront ses successeurs en expulsant les Croisés « jusqu’au dernier ».
Il y a dans ces événements historiques de précieux enseignements. Les musulmans d'aujourd'hui sauront-ils les méditer afin de peut-être demain bouter hors de Palestine l'engeance sioniste qui, tel un serpent dans un terrier, s'y est logée ?


 

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