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L’excellence de l’administration dans la civilisation islamique

L’excellence de l’administration dans la civilisation islamique

L’une des choses qui met le plus en évidence le développement de la Oumma et son haut niveau civilisationnel est cet ensemble de systèmes et d’institutions, qu’on appelle l’administration, qui permettent à ses membres de coexister et de vivre en bonne intelligence, ils régissent leur vie et organisent leurs affaires, le but étant de leur prodiguer une vie honnête. Nous allons donc étudier ce thème plus en profondeur dans le présent article.

La fonction de ministre est considérée comme l’une des plus importantes dans la civilisation islamique, c’est ainsi que de nombreux jurisconsultes et politiques musulmans ont parlé de l’aspect essentiel de cette fonction, c’est le cas par exemple d’al-Mâwardî (mort en 450 en l’Hégire).
Il est parvenu jusqu’à nous des écrits sur le travail quotidien accompli par l’un des ministres des Banû al-Furât, lesquels appartenaient à une famille qui fournit des ministres aux Abbassides pendant une longue période, et ce, depuis le quatrième siècle de l’Hégire. Ainsi, ce ministre des Banû al-Furât « avait l’habitude de recevoir très tôt le matin ses secrétaires avec lesquels il se mettait d’accord sur le travail à accomplir, il confiait à chacun d’entre eux ce qui était en rapport avec son administration en lui donnant les directives qu’il voyait nécessaires, puis ses secrétaires revenaient vers lui pour l’informer du travail qu’ils avaient accompli, alors il les approuvait pour cela ainsi que pour les dépenses qu’ils avaient dû faire, ces derniers restaient avec le ministre jusqu’à la nuit. S’il y avait moins de travail, cela ne l’empêchait pas, si des documents importants concernant les dépenses ou autres lui arrivaient alors qu’il était assis avec des convives, de se lever et de les quitter, lesquels s’en allaient dès qu’il se levait ».
Pour ce qui concerne l’administration de la rédaction, celle-ci s’occupait, comme son nom l’indique, de la rédaction et de l’envoi des missives et lettres officielles ainsi que des relations diplomatiques avec les autres Etats, islamiques ou non. Cette administration existe depuis l’époque du Prophète (), lequel avait engagé un certain nombre de secrétaires, certaines sources estiment qu’ils étaient plus de trente. Cette administration de la rédaction était le donneur d’ordre du secrétaire et le supervisait.
A titre d’exemple, ‘Abd al-Hamîd ibn Yahyâ al-‘Âmirî (mort en 132 de l’Hégire), qui était surnommé ‘Abd al-Hamîd le Secrétaire, était l’un des secrétaires les plus connus du califat umayyade, puis il devint avec le temps l’un des secrétaires les plus célèbres de la civilisation musulmane ; ainsi, du fait de sa grande renommée en tant que secrétaire de la dynastie umayyade, Marwân ibn Muhammad (mort en 132 de l’Hégire), qui fut le dernier calife umayyade, prit ‘Abd al-Hamîd comme ministre, poste néanmoins assez proche de sa fonction initiale de secrétaire dont l’essentiel consistait à l’écriture de missives officielles.
‘Abd al-Hamîd le Secrétaire est considéré comme étant le premier à avoir posé les grandes règles générales de sa profession et à avoir défini les principales qualités que devait avoir un secrétaire « diplomatique » ; il est à noter que ce grand secrétaire était tellement devenu une référence ultime dans ce domaine qu’on disait à son sujet le proverbe suivant : « Les lettres ont été ouvertes par ‘Abd al-Hamîd et ont été également cachetées par lui » (NdT : manière de dire qu’il était le maître absolu de cette profession). C’est pour cette raison que ceux qui avaient été ses élèves prirent les meilleures fonctions au sein de l’Etat et notamment dans les institutions califales, et parmi ses illustres élèves on trouve Ya’qûb ibn Dâwûd qui fut nommé ministre par le calife abbasside al-Mahdî.

Parmi les autres administrations qui formèrent le système administratif de l’Etat islamique, on trouve l’administration ou bureau des soldes dont la mission était essentiellement de recenser les combattants musulmans, de s’assurer de leur nom exact en lui accolant en outre leurs origines ethniques et géographiques, de déterminer précisément le montant de leur solde, le temps exact de leur engagement ainsi que le nombre et la qualité des armes dont ils disposaient. Ce système avait clairement pour but de faciliter la vie au combattant et d’aider sa famille et ses proches. La plupart des sources historiques montrent que le premier à avoir créé ce bureau des soldes est ‘Umar ibn al-Khattâb (Radhia Allahou Anhou), ce dernier avait cherché à trouver le meilleur système afin de partager cet argent entre les gens, c’est ainsi qu’il édifia un ensemble de principes généraux concernant les soldes, et parmi ces derniers on trouve : le degrés de parenté avec le Prophète (), le degrés de pratique de l’Islam et du djihad, la prééminence donnée aux combattants selon l’attitude qu’ils ont eu lors des combats ou encore leur situation géographique par rapport au territoire ennemi (proche ou loin).
L’administration des soldes a été d’une grande importance historique en ce sens qu’elle permettait de prendre une décision définitive sur des affaires contenant un différend, comme notamment le décès d’une personne. Ainsi, grâce aux registres tenus par cette administration, il était possible de savoir qui était mort parmi ceux dont on ne connaissait pas la date de décès car ils étaient décédés ailleurs ; en conséquence, on peut affirmer que les documents de l’administration des soldes faisaient office de registre d’état civil aux quatre coins du califat.

En ce qui concerne le legs pieux islamique, il s’agit d’un système de bienfaisance innovant, car il n’avait pas eu son pareil dans les civilisations antérieures à l’Islam. Ainsi, ce legs pieux allait à ceux qui devaient en être les bénéficiaires et était déposé entre les mains de ceux qui en avaient la gérance selon les conditions définies par celui qui l’avait donné sans que l’Etat islamique ne s’implique directement dans ce système, et ce, jusqu’à ce que le juge umayyade Tawba ibn Namir al-Hadramî devienne le juge suprême d’Egypte ; en effet, ce dernier, après avoir observé la manière dont circulait le legs pieux entre celui qui en avait la gérance et son bénéficiaire, considéra qu’il valait mieux que cela se fasse sous son égide afin d’éviter certains dysfonctionnements dommageables à l’intégrité du legs pieux ou que les règles et conditions régissant ce dernier ne soient plus respectées.
Cette situation perdura jusqu’à la première moitié du quatrième siècle de l’Hégire, à partir de là on créa une fonction de responsable du legs, ce dernier était maintenant indépendant, il contrôlait donc le legs pieux, était en charge de tout ce qui avait trait à lui et organisait son fonctionnement. De fait, le système du legs pieux devint une administration indépendante et puissante, car, en effet, très vite la fonction de responsable de cette dernière devint une fonction centrale et essentielle au sein de l’Etat, à telle enseigne qu’elle dépassa la fonction de juge suprême en Egypte.

Le joyau du système administratif de l’Etat islamique était sans nul doute son système postal qui était d’une très grande efficacité, voici ce que dit l’orientaliste Van Kramer à propos de ce dernier : « Tous ceux qui étaient à la tête des affaires publiques dans les grandes provinces avaient sous leurs ordres un agent des postes, celui-ci avait notamment pour mission de communiquer au calife toutes les informations concernant les affaires ayant trait à l’exercice du pouvoir du gouverneur de la province, il était même appelé à contrôler et surveiller les actions de ce dernier, en d’autres termes on peut dire que cet agent postal était un représentant du pouvoir central qui lui accordait toute sa confiance ». Ainsi donc les califes avaient sous leurs ordres directs un certain nombre d’agents postaux qui les aidaient à diriger les affaires de leur Etat, et par leur intermédiaire ils pouvaient être mis au courant des actions et travaux de leurs gouverneurs et de tous les hommes travaillant pour l’Etat.
Le système postal se divisait en trois catégories : un transport du courrier terrestre effectué par des chevaux rapides, un autre « aérien » effectué par les pigeons voyageurs et un dernier maritime effectué par des bateaux spécialement conçus à cet effet. Les califes ont toujours été très préoccupés par le bon fonctionnement de ce système. On sait que durant son règne, ‘Abd al-Malik ibn Marwân apporta un certain nombre d’améliorations à ce système, et ce, afin que ce dernier devienne un instrument essentiel dans l’administration des affaires de l’Etat, par exemple un cadastre fut élaboré et des limites furent instaurées pour chaque zone, en outre quatre routes reliant al-Quds à Damas furent aménagées ; par ailleurs, l’attention particulière portée par ‘Abd al-Malik ibn Marwân pour le système postal était tellement grande qu’il alla jusqu’à ordonner à son chambellan de systématiquement laisser entrer l’agent des postes pénétrer au palais s’il se présentait pour le voir, et ce, qu’il fasse nuit ou jour.

Pour ce qu’il s’agit du trésor public, voici ce que nous pouvons en dire : celui-ci était une institution qui contrôlait les revenus et les dépenses d’un Etat. En général le calife ou le gouverneur avait la haute main sur cette dernière, elle était gérée selon les principes ordonnés par Allah, c’est-à-dire de manière à ce qu’elle serve les intérêts de la Oumma dans les périodes de paix ou dans les périodes de guerre. Les principales ressources du trésor public étaient la Zakât, l’impôt foncier, la capitation, le butin et les prises de guerre ou encore le legs pieux. Il est à noter que tous ces revenus – à l’exception du legs pieux – sont des impôts ou contributions sur les richesses, la terre et les individus.

Parmi les autres éléments importants de l’appareil administratif islamique, on trouve évidemment la police, cette institution existe depuis l’époque du Prophète (), si elle n’était pas encore à ce moment-là parfaitement organisée, voici ce qu’en dit tout de même l’imam Boukhari : « Qays ibn Sa’d jouait le rôle auprès du Prophète () de policier du prince ». Et le premier à avoir instauré un système de patrouille nocturne fut ‘Umar ibn al-Khattâb, ce dernier patrouillait la nuit dans les rues de Médine afin de protéger les honnêtes gens et interpeller les personnes suspectes.
Cette fonction fut donc inventée et se perfectionna au sein de la civilisation islamique. Ainsi, il faut savoir que chez les musulmans andalous la police fut divisée en deux grandes parties : d’une part, la haute police dont la mission était de surveiller et arrêter le cas échéant les proches du sultan, ses vassaux ou affidés ainsi que les personnalités de haut rang ; le chef de cette haute police avait un siège à la porte du sultan, il était en outre systématiquement candidat au poste de ministre ou à celui de chambellan ; il ne fait nul doute que la création de cette fonction est la preuve évidente que la civilisation islamique respectait alors les lois de la Charia et les usages d’une société donnée, de plus ce système était ultra-égalitaire, car cette fonction de la haute police nous montre que devant la loi il n’y avait ni riche ni pauvre, ni gouvernant ni gouverné. D’autre part, coexistait avec la haute police ce qu’on appelle la basse police, cette dernière était une police s’occupant des gens du peuple, il faut savoir en sus que dans l’Andalus un agent de cette basse police était appelé un agent de la ville.

Parmi les autres inventions du système administratif islamique, on trouve la fonction de contrôleur des poids et mesures. Le besoin urgent de création d’un tel système est très vite apparu du fait de l’accroissement des conditions de vie au sein du califat islamique. Cette fonction est religieuse en ce sens qu’elle fait partie de la recommandation à faire le louable et de l’interdiction à commettre le blâmable, deux choses que celui qui est en charge des musulmans est obligé de mettre en œuvre ; ainsi, ce dernier nommait à ce poste celui qu’il considérait en être à la hauteur, en plus d’avoir certaines obligations collectives (furûdh al-kifâya), il lui incombait surtout de diriger une province. Il est à noter que la fonction de contrôleur a évolué sous le règne des califats abbassides de la surveillance des poids et mesures, de la lutte contre les monopoles et de la recommandation à faire le louable et de l’interdiction à commettre le blâmable vers le contrôle de la propreté des marchés et des mosquées, la surveillance de l’assiduité des fonctionnaires à leur travail ou même la surveillance de la ponctualité des muezzins pour ce qui concerne l’appel à la prière, signalons que le contrôleur avait même le pouvoir de contrôle sur les juges, il les rappelait notamment à l’ordre s’ils prenaient du retard dans leur travail ou s’ils s’absentaient sans raison valable du palais de justice. Par ailleurs, chose étonnante, le contrôleur avait même le droit de faire passer un examen ou de choisir ceux qui voulaient pratiquer un métier ou devenir artisan, et ce, afin de jauger leur niveau de compétence dans le domaine en question, le but étant d’éviter que des charlatans ou autres incompétents abusent de la crédulité des gens. C’est ainsi que le calife abbasside al-Mu’tadid (mort en 279 de l’Hégire) demanda à Sannân ibn Thâbit, qui était le chef des médecins, que le niveau de tous les médecins de la ville de Bagdad soit évalué, lesquels étaient environ 860, en conséquence de quoi, le contrôleur en charge de cette procédure interdit à tout médecin d’exercer son métier tant qu’il n’aurait pas passé cet examen !

Nous espérons que par le truchement de cette courte étude sur le système administratif qui se développa au sein de la civilisation islamique nous avons pu montrer le niveau d’excellence atteint par l’Etat islamique dans ce domaine, ce système exemplaire fut sans conteste un modèle d’inventivité et d’innovation.
 

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