Islam Web

  1. Ramadan
  2. Récits des nouveaux convertis

La conversion à l’Islam du penseur français René Guénon

La conversion à l’Islam du penseur français René Guénon

Qui était René Guénon ?

Le passage de René Guénon du christianisme à l’Islam, après qu’il se fut intéressé à la pensée maçonnique et aux philosophies de l’ancien Orient, ne relève pas de l’indécision, de l’inconstance ou d’un amour immodéré pour le changement, mais il est le résultat d’une recherche de la réalité perdue, cette réalité qui liait dans le passé l’homme avec le vaste univers de manière équilibrée, puis ce lien se rompit sous la pression de l’époque moderne dans laquelle règne un matérialisme froid ; René Guénon a donc embrassé l’Islam et est devenu ‘Abd al-Wâhid Yahyâ, il initia le projet de construction de la Grande mosquée de Paris peu avant la Première guerre mondiale ainsi que celui de la fondation d’une université islamique en France.
René Guénon est né le 15 novembre 1886 dans la ville de Blois qui se situe au sud-ouest de Paris, il grandit dans une famille catholique et conservatrice. René était de constitution fragile, ce qui contribua à l’éloigner des bancs de l’école, c’est ainsi que c’est sa tante qui se chargea de son éducation, elle lui apprit à lire et à écrire dans sa magnifique demeure du bord de Loire, il y resta jusqu’à ses douze ans. Lorsqu’il eut seize ans, il intégra une université parisienne, mais il ne se contenta pas de ces cours académiques et c’est ainsi qu’il assouvit également sa soif de connaissance en fréquentant des enseignants et des maîtres à penser de tous horizons, lesquels étaient fort nombreux dans ce Paris du début du vingtième siècle.
En 1906, il se mit à fréquenter les milieux occultistes papusiens (de Papus, médecin et occultiste français), puis il se tourna vers d’autres courants de pensée et organisation comme l’Ordre martiniste maçonnique qui suivait un rite connu sous le nom du Rite national espagnol. Puis en 1908, Guénon rejoignit la Grande loge maçonnique de France, de même qu’il intégra l’Eglise gnostique dont le credo s’opposait à celui de l’Eglise officielle selon lequel il faut croire au fait que Dieu a pris la forme d’un être humain (« Il (Allah) est plus haut et infiniment au-dessus de ce qu’ils disent » (Coran 17/43)). Durant cette même période, Guénon rencontra de nombreuses personnalités et des intellectuels qui l’aidèrent à approfondir sa connaissance du Taoïsme et de l’Islam.
A la fin de l’année 1909, Guénon est élu patriarche de l’Eglise gnostique, il participa parallèlement à la revue La Gnose dans laquelle il écrivit divers articles ; toutefois, il ne tarda pas à émettre des critiques très dures contre cette Eglise gnostique, car selon lui les nouveaux courants spiritualistes, dont cette Eglise faisait partie, incarnaient tous un nouveau matérialisme mais sous une forme différente, leur seul et unique but était en réalité d’appliquer sur l’âme et le spirituel la méthode de la science positiviste. 

L’histoire de sa conversion à l’Islam :

La rencontre de Guénon avec le penseur et peintre suédois John Gustaf Agelii, qui embrassa l’Islam en 1897 – il prit le nom alors le nom de ‘Abd al-Hâdî – et qui participait à la rédaction d’une revue italo-arabe appelée L’appel, influença grandement dans son choix de devenir musulman ; il est à noter en outre qu’avant de se convertir Guénon avait déjà publié de nombreux articles sur le célèbre maître soufi Muhî al-Dîn ibn ‘Arabî.
Au moment de cette rencontre, Guénon publiait une revue appelée La connaissance, c’est ainsi qu’en 1910 ‘Abd al-Hâdî commença à contribuer sérieusement à cette dernière, et notamment via la publication de ses recherches et de ses nombreuses traductions en français de textes en arabe traitant du soufisme. C’est donc à cette époque que ‘Abd al-Hâdî fit le lien entre Guénon et le Cheikh ‘Ulaych – entre les mains duquel ‘Abd al-Hâdî se convertit, ce lien devint très fort notamment grâce au fait que les deux hommes se mirent à échanger de nombreuses correspondances dans lesquelles ils confrontaient leurs points de vue. Cette relation épistolaire entre Guénon et le Cheikh aboutit à la conversion à l’Islam du premier en 1912, et ce, après qu’il eut étudié cette religion de manière quasi-exhaustive, il se choisit pour nom islamique ‘Abd al-Wâhid Yahyâ.
Voici ce que dit l’imam ‘Abd al-Halîm Mahmûd à propos de la conversion à l’Islam de René Guénon : « La cause de sa conversion à l’Islam fut à la fois très simple et très logique ; en effet, il voulut s’accrocher à un texte sacré purifié de toute erreur et mensonge, et après ses études très poussées sur la question il ne trouva aucun texte correspondant à ce critère hormis le Noble Coran, c’était le seul livre qui n’avait pas subi d’altérations et de changements, car Allah Lui-même est garant de sa préservation intact. Par conséquent, Guénon s’accrocha au Coran et en fit son guide ; c’est ainsi qu’il commença grâce au Coran à ressentir en lui une grande quiétude spirituelle ».
Au mois de juillet 1915 René Guénon obtint une licence de philosophie de la célèbre université de la Sorbonne, puis il poursuivit ses études et obtint par la suite un diplôme de hautes études (l’équivalent du DESS) ; fort de ses diplômes, il obtint en 1917 un poste de professeur de philosophie en Algérie où il resta un an. Après son expérience algérienne il rentra en France et s’installa dans sa ville d’origine Blois ; cependant, il ne s’y plut pas et il décida donc de partir pour Paris afin d’y préparer sa thèse de doctorat dont le sujet était « Leibnitz et le calcul différenciel », mais à cause de son indépendance intellectuelle et de sa tendance à exposer publiquement ses idées, son directeur de recherche refusa de lui permettre d’obtenir ce diplôme. En 1918, Guénon décida donc de préparer son agrégation de philosophie. 
Mais toutes ses occupations académiques n’empêchèrent pas ‘Abd al-Wâhid Yahyâ de consacrer du temps à ses travaux et recherches sur les thèmes qui l’intéressait, il arriva donc à publier en 1921 deux livres dont l’un d’eux s’intitulait Introduction à l’étude des croyances indiennes. Durant les années qui suivirent il publia d’autres ouvrages ainsi que des articles dans divers journaux et revues. Et en 1925, il commença à écrire dans la revue Le masque d’Isis, et ce, jusqu’en 1929, il devint même l’un de ses rédacteurs les plus importants, mais malgré cela il refusa d’en prendre la direction.
En 1925, ‘Abd al-Wâhid Yahyâ donna à la Sorbonne l’une des conférences les plus importantes de cette année-là, lors de cette conférence, qui avait pour titre « La métaphysique orientale », il expliqua la différence entre la pensée orientale et la pensée occidentale en ce qui concerne la question de l’invisible ou de l’inconnaissable, il mit en évidence le fait que la métaphysique est une, elle n’est ni occidentale ni orientale, elle est comme la réalité pure, la seule différence se situe dans la compréhension distincte qu’ont d’elle l’Orient et l’Occident. Notons que Guénon veut signifier par le terme « pensée orientale » l’étude du domaine de l’inconnaissable dans tout l’Orient et pas seulement en Inde ; selon lui, les civilisations orientales jouissent d’une certaine continuité dans le domaine spirituel, c’est donc vers elles et elles-seules qu’il faut se tourner pour trouver des informations sur la « vérité », car la civilisation occidentale a totalement rompu avec les racines de sa spiritualité passée.
En 1927, René Guénon publie différents ouvrages dont Le roi du monde et La crise du monde du monde moderne, ce dernier livre connut un très gros succès, il fut d’ailleurs réédité des dizaines de fois et autant dans des éditions de luxe que dans d’autres plus populaires, La crise du monde moderne n’est pas un appel à un repli sur soi, mais il est plutôt un appel à essayer d’avoir une bonne compréhension de ce qu’est la civilisation occidentale et à procéder à une critique objective de cette dernière qui doit être considérée comme une œuvre humaine ce qui implique fatalement qu’elle est faillible et donc critiquable.

Son départ pour l’Egypte :

Une maison d’édition parisienne proposa à ‘Abd al-Wâhid Yahyâ de partir pour l’Egypte afin qu’il rentre en contact avec la culture soufie locale et qu’il écrive des textes à son sujet et en en traduise d’autres. C’est ainsi qu’il quitta la France pour se rendre en Egypte en 1930, au départ il était convenu qu’il n’y passe que quelques mois, mais ce travail lui prit plus de temps que prévu, ce qui poussa la maison d’édition à abandonner ce projet ; toutefois, ‘Abd al-Wâhid choisit de rester dans ce pays et il s’installa au Caire dans le quartier modeste d’al-Azar, il y vivait de manière très discrète et évitait de fréquenter les Européens vivant dans cette ville, il se tenait en outre à l’écart des relations mondaines et préférait consacrer tout son temps à l’étude.
Notons que ‘Abd al-Wâhid était venu au Caire tout seul – sa femme décéda avant son départ, mais cette vie de célibat lui pesait beaucoup et donc il décida de se marier en 1934 avec la fille de Cheikh Muhammad Ibrâhîm, cette dernière lui donna ses quatre enfants.
‘Abd al-Wâhid voulut aider à la diffusion de la culture soufie en Egypte, et pour ce faire il fonda la revue Al-ma’rifa (La connaissance) en association avec ‘Abd al-‘Azîz al-Istanbûlî ; il est à noter que le choix du nom de cette revue est très révélatrice de la pensée et de l’esprit de ‘Abd al-Wâhid, c’est ainsi que la connaissance est l’un des chemins qui mènent à Allah, exalté soit-Il, comme l’amour est un autre de ces chemins. Le programme de cette revue pour atteindre ce dessein comportait un véritable projet, son objectif était vraiment d’essayer d’accéder à la connaissance sacrée. ‘Abd al-Wâhid Yahyâ passait tout son temps à écrire des livres ou des articles et à entretenir une correspondance avec ses nombreuses connaissances, il était dans un mouvement intellectuel et spirituel permanent.

Ses contributions :

‘Abd al-Wâhid/Guénon a laissé de nombreux ouvrages à travers lesquels il a défendu l’Islam et en donnait une image positive aux Occidentaux, laquelle devait contrer celle diffusée par les orientalistes pour qui l’Islam était avant tout une idéologie politico-militaire qui s’était imposée au monde par la force de l’épée et ne pouvait donc pas produire une spiritualité profonde. Voici donc les ouvrages de Guénon les plus importants dans lesquels il a répondu à ces accusations partiales et subjectives : L’erreur spirite, Orient et Occident, L’ésotérisme de Dante, L’homme et son devenir selon le Védânta, La crise du monde moderne, Le roi du monde, Autorité spirituelle et pouvoir temporel, Les états multiples de l’être, Le règne de la quantité et les signes des temps, La métaphysique orientale, Les principes du calcul infinitésimal, Etudes sur la Franc-maçonnerie et le compagnonnage, Formes traditionnelles et cycles cosmiques, etc.

Sa mort :

René Guénon/’Abd al-Wâhid Yahyâ décéda en 1951 au Caire à l’âge de 64 ans entouré de son épouse et de ses enfants, et le dernier mot qu’il prononça fut simplement « Allah ».

Nous voulons ajouter en guise de conclusion que nous sommes bien conscients que la voie choisie par Guénon comporte certains problèmes du point de vue théologique, car souvent le soufisme a une tendance à s’éloigner du dogme correct au nom de l’ « illumination spirituelle » ; toutefois, nous avons voulu rappeler la vie et l’œuvre de ce penseur français, car elles nous semblent tout de même pleines d’enseignements, en effet, il est frappant qu’un intellectuel bourgeois du début du XXe siècle qui aurait pu faire carrière et fortune en France ait choisi l’exil et une vie modeste, de plus il n’était pas tout à fait simple ni évident pour un Occidental de cette époque de se convertir à l’Islam, religion considérée alors par tous en Occident comme celle des indigènes qu’on était en train de coloniser. Par conséquent, si nous ne pouvons adhérer à tous les écrits de ce grand converti, il ne reste pas moins que l’homme semblait sincère dans sa démarche et nous demandons donc à Allah qui l’accueille dans Son immense miséricorde.
 

Articles en relation